Merci Ă Hidden Noise de nous rappeler l’existence oulipienne des machines Ă lire (in The Oulipo Compendium 1998 puis 2005). La toute première de ces extravagantes constructions est pourtant Ă mettre au crĂ©dit de l’italien Agostino Ramelli et permettait de lire plusieurs livres Ă la fois grâce Ă un système de roue infernale.
Système que l’architecte Daniel Liebeskind a revisitĂ© Ă l’identique pour la Biennale vĂ©nitienne de 1985, rendant ainsi un hommage oblique aux passions inventrices de la Renaissance, mais aussi Ă l’esprit surrĂ©aliste de Raymond Roussel qui avait imaginĂ© une machine pour lire Impressions d’Afrique (la machine fut construire par Jacques Brunius et prĂ©sentĂ©e Ă l’exposition surrĂ©aliste de 1937, il n’en reste aucune trace).
Liebeskind a aussi fabriquĂ© deux autres machines; l’une The Writing Machine, l’autre, The Memory Machine: une interprĂ©tation du Théâtre de la MĂ©moire de Giulio Camillo, imaginĂ© au XVIe siècle pour permettre Ă n’importe quel homme de pouvoir user des meilleurs arguments grâce Ă une imagination magiquement activĂ©e par une construction scĂ©nique aux degrĂ©s Ă©vocateurs.
Ces machines conceptuelles qui ne sont pas sans rappeler l’esprit de bricolage, donc de montage, propre aux surrĂ©alistes mais aussi Ă ce que toute l’avant-garde des annĂ©s 10-20 compte d’afficionados de la citation et de la rĂ©utilisation, ces machines donc, dĂ©montrent Ă quel point le collage et l’assemblage sont aussi des moyens de fabriquer ces scènes de mĂ©moire et de lecture du XXe siècle.
Scènes qui devront se lire puis se relire et encore se relire, imitant l’esprit de boucle qui prĂ©side au fonctionnement de la Machine Ă Lire de Roussel ou Ramelli. Mais qui renvoie Ă©galement Ă l’esprit loopien de Rodney Graham et son projet de Machine Ă Lire Lenz (1983-93). Comme l’Ă©crit Steven Harris (en v.o.):
« In Lenz of 1983, for instance, Graham appropriated an unfinished novella by Georg BĂĽchner in which the mentally unstable protagonist, Lenz, wanders through a forest. The artist reset the type on pages one to two and on pages five to six of an English translation of the story, to set up a situation in which the page breaks at the same phrase ‘through/the forest’, which establishes a loop whose effect is to cause Lenz to endlessly repeat his journey by returning from page five to page two; in 1993, Graham had a reading machine constructed for this version of the text to facilitate the repetition, and the hardcover version of the 1983 work was a book bound with eighty-three repetitions of these pages, which in principle can be continued forever.»
L’esprit poĂ©tico-conceptuelle de ces machines rejoindra un temps la science-fiction d’un roman de Maurois publiĂ© en 1937. La Machine Ă lire les pensĂ©es est une trame extraordinaire oĂą le professeur Dumouhn retrace l’histoire du psychographe, machine qui rappelle incidemment le terme de psychographie inventĂ© par le spirite Allan Kardec en 1861. Une mĂ©thode d’Ă©criture sans doute dĂ©tournĂ©e dans sa version plus automatique par les surrĂ©alistes puis par Max Ernst avec ses frottages oĂą un crayon transfère alĂ©atoirement sur une feuille de papier les marques apparentes d’un plancher ou de toute autre surface texturĂ©e.
Ironiquement, la science-fiction d’un Maurois devient maintenant rĂ©alitĂ© avec des machines dont l’aspect obsolète ne doit pas masquer leur intĂ©rĂŞt certain de frottement sonore. Ainsi les machines Ă lire de Texte & Relief comme Sonorel®: qui lit tous types de documents dactylographiĂ©s, fabrique des Ă©tiquettes vocales, etc. Ou encore le modèle Lyris® Ă synthèse vocale (voix de Bruno ou de Julie) et qui tourne aussi les pages comme un livre. Sans oublier le summum poĂ©tique de cette accumulation technique: Lector. Un simple branchement Ă une prise Ă©lectrique vous permet d’entendre deux voix comparables Ă une prononciation humaine (Virginie et SĂ©bastien cette fois). Des inventions machinesques qui seront explorĂ©es par officeabc dans ses prochains projets… mais nous en reparlerons.
De ces machines pour dĂ©ficients visuels, on peut se demander une seule chose. Comment font-elles pour lire des images? Quel langage pourrait se mettre en place qui traduirait les signes autres que typographiques? De la lecture multiple et incessante, Ă la lecture mĂ©morielle ou sonore, c’est au jeu du va-et-vient de l’histoire des modes de lectures que nous pouvons nous adonner avec dĂ©lice…