Dans Esthétique du livre d’artiste, Anne Mœglin-Delcroix nous parle du travail d’Edward Ruscha qui passe avec Dieter Roth pour avoir en quelque sorte « inventé » le livre d’artiste1. À propos de Twentysix Gazoline Stations, justement la matière de cette invention, Ruscha nous dit que ce « premier livre est sorti d’un jeu avec les mots. Le titre est venu avant même que j’aie pensé aux images. J’aime le mot “gazoline” et j’aime la qualité particulière de “twenty-six” [traité sans tiret sur la couverture]. Si vous regardez le livre vous verrez comme la typographie fonctionne bien. J’ai travaillé sur tout cela avant de prendre les photographies. Non que j’avais un message important au sujet des photographies ou de l’essence, ou de n’importe quoi de semblable – tout ce que je voulais, c’était une chose qui ait de la cohésion2. ». Plus tard Anne Mœglin-Delcroix nous rappelle qu’il ajoute, « en insistant [dit-elle] sur la réalité plastique et la dimension matérielle de ses livres » : « Je les considère comme un matériau visuel… Je les ai d’ailleurs considérés comme des sculptures. Ils ont un volume, ils ont une épaisseur3 ».
Est-il vraiment provocant, est-il si fétichiste ou intéressé, de remarquer que cette attention au fonctionnement de la typographie, à la cohésion de cet objet spécifique qu’est le livre – qui s’ouvre qui se ferme, avec certaines dimensions, une certaine présence architecturale ou sculpturale, comme on voudra, dont l’unité est la double page recouvrant d’autres pages, se déployant dans une séquence, avec certains effets de théâtralité, certains effets d’image… – sans forcément se préoccuper de son sujet, relève aussi du travail du graphiste et que, quand ce travail est réussi, il peut éventuellement avoir quelque chose à voir avec le livre d’artiste ?
- Anne Moeglin-Delcroix, EsthĂ©tique du livre d’artiste, Paris, Le mot et le reste / Bibliothèque nationale de France, 2012, p. 19 [↩]
- Edward Ruscha, entretien avec John Coplans, “Concerning Various Small Fires. Edward Ruscha Discusses His Perplexing Publications”, Artforum, vol. III, no 5, fĂ©vrier 1965, p. 25, citĂ© et traduit par Anne Moeglin-Delcroix in EsthĂ©tique du livre d’artiste, op. cit., p. 51 [↩]
- Entretien avec Bernard Blistène, in Edward Ruscha, catalogue d’exposition au centre Georges Pompidou, 1989 [↩]