Federico Nicolao, en collaboration avec Virginia Gamna, Sara Martinetti et Laura de Sanctis, organisait récemment «Comment penser par images», une journée d’étude s’inscrivant dans le cadre de journées internationales se déroulant entre Lisbonne et Paris.
«Images par la pensée par distinction de penser par images» pouvait dire Jérôme Combier, compositeur et enseignant à l’ENSPAC, qui présentait un conférence sur Le rêve de Ligeti y convoquant l’évocation comme possible langue.
Langage de la sensation sans doute, grammaire d’une pensée usant des masques pour dire les desseins, vus, lus, ou pensés.
On repensera alors Ă l’anthologie Penser l’image Ă©ditĂ©e par Emmanuel Alloa et qui interrogeait la dĂ©finition mĂŞme de ce mot, ouvrant, comme l’écrit Muriel Berthou Crestey, sur «une pensĂ©e du lien» et sur les dĂ©sirs vĂ©hiculĂ©s par les images. Penser par images reviendrait alors peut-ĂŞtre Ă dĂ©sirer… avec en tĂŞte ces fluxs cinĂ©matographiques de rayons et d’ombres qui faisaient rĂŞver Desnos…
Le photographe italien Luigi Ghirri concluait une des premières versions de son livre Kodachrome avec un clin d’œil à Giordano Bruno en proposant presqu’à la fin de son ouvrage une série de photographies qu’il estimait issues de la rencontre quotidienne avec le réel et dont il disait qu’elles étaient comme trouvées en chemin; dans la dernière émergeaient d’un journal roulé en boule sur le macadam ces mots: «Comment penser par images».
La réflexion et l’art contemporains ont repris à maintes reprises ce motif ancien, faisant une fois de plus de l’image, aussi bien mentale que rétinienne, l’espace le plus souvent interrogé par la pensée, pour ne pas dire son outil de production et de référence privilégié (mais Aristote disait déjà de l’âme intelligente que dans les images perçues elle pensait les formes et que les sensations, n’étant pourtant pas des images, sans les images n’auraient jamais été).
«Comment penser par images» est le titre d’un cycle d’événements qui s’organisent à l’école de Cergy dans le cadre du cours Théories, images, qui se veut pour trois ans une sorte de séminaire permanent. Une série de cours magistraux, de journées d’études, de conférences, de séminaires de discussion avec les étudiants, de voyages d’études, de rencontres le ponctuent; cette recherche selon le souhait de l’enseignant qui l’a conçue comme un cycle, se développe sur un laps de temps le plus large possible et dans un chaos fertile qui rappelle celui qu’évoque Hegel quand il parle de l’imagination.
De l’art préhistorique jusqu’à celui de nos jours, de l’art grec jusqu’aux films de Tacita Dean, en passant par les réminiscences de Giordano Bruno ou le cycle de pièces pour piano Images de Debussy, par Svolgere la pelle de Giuseppe Penone ou les spéculations de Michelangelo Antonioni, dans un mouvement en même temps de déconstruction et d’analyse mais aussi de création et de travail, artistes, écrivains et philosophes n’ont pas cessé de s’interroger sur le rapport complexe qui existe entre image et pensée, espaces subversifs où apparaissent les intensifications du réel les plus raffinées et les plus profondes.
«Comment penser par images» est donc le thème qui est proposé aux invités: nombreux sont les reflets que ce motif peut prendre, on peut le lire à l’aune de la «révolution numérique», ou en s’interrogeant avec Jean Pierre Vernant sur quelles opérations mentales mettent en œuvre les images en dehors du couple paraître être, en pensant au livre des dessins de Vasari ou aux Atlas d’Aby Warburg ou Marcel Broothaers, en se penchant sur l’art médiatique qu’Hans Belting définit désormais comme un hybride de technologie et de concept, ou en s’intéressant aux nouvelles recherches des neurosciences sur la mémoire ou aux réflexions de Benjamin sur la reproductibilité mais aussi aux conséquences juridiques et politiques que cette jonction pensée-image continuera à provoquer – et bien évidemment on pourra se pencher sur cette question de mille autres manières encore. L’image nous intéresse quand elle interroge les limites de la pensée et la pensée encore plus quand elle met à l’épreuve le statut même d’une image.