Expensive Paraphernalia
Avec comme ouverture un Ă©conomiseur d’Ă©cran oĂč John Travolta louche et fait le lotus, la vidĂ©o «Venice» dâAnthea Hamilton propose un mix and match joyous oĂč outsiders du Pop Art britannique apparaissent çà et lĂ entre deux coupes Colonel, cernĂ©s par des babioles, de sportifs personnages et, comme le titre lâindique, des vues de Venise.
Ă la faveur de ces apparitions, un entremet de sexys mais velues guiboles (comme chez Allen Jones, la jambe et les connotations Ă©rotiques quâelle contient est rĂ©currente dans le travail dâHamilton) ponctuent lâensemble et annoncent la suite du carrousel des desserts proposĂ© dans cette vidĂ©o sucrĂ©e.
MalgrĂ© leurs divergences, les formes citĂ©es prĂ©sentent pourtant quelques points communs. Ce sont dâabord les marqueurs de choix dâune culture pop extrĂȘmement sophistiquĂ©e. Ce sont Ă©galement des objets visuellement apprĂȘtĂ©s, suffisants et autonomes, faisant leurs intĂ©ressants comme des danseurs disco fardĂ©s pour aller danser et draguer. Ce parallĂšle avec les figures du monde de la nuit est renforcĂ© par la bande-son. Le chant des Bee-Gees entraĂźnant des associations dâidĂ©es volages qui Ă leur tour articulent autant de dĂ©sirs et dâenvies que possible.1
La musique disco contient explicitement une forme de cĂ©lĂ©bration du matĂ©rialisme, ou plutĂŽt une cĂ©lĂ©bration du monde matĂ©riel dans lequel nous sommes immergĂ©s et peut ainsi, habilement, endosser le rĂŽle de musique dâambiance, capable de napper des objets si disparates entre eux.
Quand il est teintĂ© de romantisme, ce matĂ©rialisme disco nous enjoint presque dâexpĂ©rimenter le plus de choses possibles; soit un monde de matiĂšres chatoyantes, de matĂ©riaux brillants et de joyeuses rencontres. Cette promesse qui se doit dĂȘtre festive, nocturne et bien arrosĂ©e, nous autorise mĂȘme Ă reconnaĂźtre que notre corps est parfois constitutif de cette expĂ©rience sensuelle avec les objets. Dâailleurs, les paroles disco nous lâintiment presque (âYou should be dancingâ, âLetâs all chant !â, âLetâs dance!â)
Dans «Venice», la jambe baladeuse, la chaussure plateforme, les sportifs en contact direct avec «la matiÚre», le banana-split, tous semblent nous tendre la main pour un frotti-frotta matérialiste.
On lâoublie vite mais il fut un temps dans les annĂ©es 1980 ou aller au cinĂ©ma consistait aussi en une expĂ©rience particuliĂšrement sensuelle revenant Ă regarder des danseurs costumĂ©s se trĂ©mousser pendants des heures, en sueur dans leurs vĂȘtements de sport et combinaison lycra.
En plus de leur complexitĂ© visuelle et plastique intrinsĂšques et du peu de conformitĂ© quâils ont entre eux, la maniĂšre avec laquelle ces objets aux statuts sĂ©miotiques diffĂ©rents interagissent, ne permet malheureusement pas de rĂ©pondre Ă la question «Mais que signifient-ils donc?».
Pourtant, en dĂ©pit de lâimpossibilitĂ© de rĂ©pondre Ă cette question, le travail dâAnthea Hamilton nâest pas muet car la communication (du moins la communication rĂ©elle) appelle toujours une certaines tension, un sens certain de la provocation, du challenge, de la drague, du charme et du style.
Lâensemble venicien se donne ainsi Ă lire comme un enchevĂȘtrement soyeux de signaux Ă valeurs symboliques diffĂ©rentes. La superposition des uns par rapport aux autres neutralisant les effets de chacun. Par la perception simultanĂ©e de lâensemble surchargĂ©, il devient difficile dây trouver une logique simple, capable de sĂ©parer les effets de chaque Ă©lĂ©ment isolĂ© des effets de leur extraction puis assemblĂ© dans une nouvelle rythmique.
Chaque Ă©lĂ©ment est galvanisĂ© par ses propres rĂ©fĂ©rences et histoires, sa propre culture visuelle, les formes choisies apparaissent donc comme des Ă©chantillons de ces diffĂ©rent attributs culturels. LâĂ©chantillonage exemplifie mĂȘme les caractĂ©ristiques les plus mĂ©morables et singuliĂšres de son sujet: Forme, couleur, matiĂšre, une gestuelle, une maniĂšre de parler mais aussi et surtout une ambiance. LâĂ©chantillon agit donc comme un rappel, un post-it charmeur; lorsquâil est efficacement agrafĂ© Ă un nouvel ensemble, il stimule et excite alors notre mĂ©moire chargĂ©e de la projection personnelle que contient son origine.
Lâobjet (ou lâimage de lâobjet), quand utilisĂ© et montĂ© par Anthea Hamilton, ne dĂ©note plus rien de prĂ©cis car sa composition finale bavarde (pluri-Ă©nonciative) nâest plus si facile Ă rĂ©sumer sous forme de description simple. Lâobjet ne participe plus dĂ©sormais quâĂ la crĂ©ation dâun ensemble possĂ©dant sa propre cohĂ©rence, son propre mood, comme si, une fois assemblĂ©s ils devenaient les Ă©lĂ©ments neutres dâune composition formelle ordonnĂ©e entre formes, couleurs et textures.
- «such musics (in fact, all popular musics) can serve to articulante new âstructures of desireâ through the consolidation of âaffective alliancesâ between elements in a heterogeneous field organised around contradictory and conflicting social-sexual appetencies, aspirations, inclinations, dispositions, drives.» Dick Hebdige citant Larry Grossberg dans « The politics of youth culture: some Observations on Rock and Roll in American Culture » in Social Text III, No.2, 1983. [↩]