« Le musée du Louvre doit être le musée par excellence »1
ou les possibilités de l’excellence du graphisme muséal en France
Dans les livres d’histoire du design graphique, le chapitre « musée du Louvre » paraît anormalement maigre. Il s’étire péniblement sur quelques pages2 alors qu’au vu de l’histoire du Louvre, il pourrait remplir des livres et se prétendre un repère d’excellence3. On peut légitimement interroger la nature de ce cas français. Cette errance (qu’on pourrait nuancer au regard du travail de signalétique4 ) traduit l’absence d’une histoire commune, de la culture d’un dialogue, ancien, formateur, établi entre commanditaire(s) et graphiste(s). Dans cet abri de la Victoire de Samothrace, les graphistes ont souvent eu l’impression d’avoir les ailes coupées.
Pourtant, l’une des « crises » que traverse ce musée (non pas tant une crise qu’une de ces constantes mutations que doivent subir les institutions culturelles de nos jours) ne se résoudra pas sans l’intervention du design graphique. Avec un taux de fréquentation estimé à plus de neuf millions de personnes par an dont 70 % d’étrangers5, les conditions d’accueil visuel du public, de repérage et de médiation des œuvres peuvent inquiéter. Un chantier complexe de transformation gérant l’afflux des visiteurs au sein de la pyramide se met en place. À nouveau, comme en 1981 – année du lancement du projet Grand Louvre –, le Louvre a besoin d’une profonde restructuration, qui s’effectuera par un questionnement de ses fonctionnements visuels : identifier/symboliser, informer6/sensibiliser, présenter/représenter, signaler/signaliser, c’est-à-dire à travers les missions fondamentales du graphisme, telles qu’elles ont été formulées et classifiées en 1988 dans le cadre de l’exposition (et du catalogue) Images d’utilité publique7. « Qu’ils travaillent pour une firme privée ou pour une institution publique. La pratique professionnelle des graphistes ne varie guère. Cependant, la conception d’une image d’utilité publique implique de leur part responsabilité sociale et politique ». Cette définition de la profession par la profession s’écrit dans le cadre d’une exposition au centre Pompidou, alors que Le Louvre repense son image.
« C’est en 1988, qu’un concours est lancé pour sélectionner le studio graphique chargé de créer une identité visuelle. L’initiateur de cette opération est le Centre National des Arts Plastiques, dépendant du Ministère de la Culture. Le jury international, présidé par Ieoh Ming Pei, choisit l’atelier Grapus. Celui-ci se voit proposer un contrat d’un an pour concevoir et réaliser un logo, une papeterie, administrative et un principe d’édition. »8
L’atelier imagine un premier logotype mettant en scène un double triangle équilatéral en lien avec l’architecture de la pyramide inaugurée en 19899 concrétisation du Grand Louvre. Mais I.M. Pei refuse10, il ne souhaite pas un logo qui soit un condensé architectural. Peut-être ne souhaite-t-il pas ce qu’a réussi Jean Widmer pour le centre Beaubourg, lors d’une deuxième proposition, en immortalisant le concept architectural de Renzo Piano et de Richard Rogers par un logo magistral : « la complétude rare de ce signe : à la fois portrait (d’un bâtiment remarquable), simulation d’une empreinte (on le croirait formé par la pression caoutchoutée d’un tampon encré) et image symbolique abstraite (grâce à une simplification plastique appropriée) »11.
Grapus est ainsi tenu par contrat, à signifier, à s’inscrire dans une autre optique que celle du centre Pompidou. De là, naîtra leur deuxième proposition et un logotype toujours utilisé aujourd’hui. Un seul mot, Louvre, un L distancié marquant une préséance, une typographie, la Granjon, évoquant les lettres monumentales martelées dans la pierre, visibles sur les pavillons extérieurs du musée.
Et un ciel.
Ce ciel, noir et blanc, captation photographique, génère autant de réflexions que d’incertitudes. Un état. Évidemment, ce ciel évoque indirectement l’architecture de la pyramide et sa verrière translucide, ses multiples facettes à reflets. L’atelier choisit une photographie (parmi une collection assez large d’effets de nuages photographiques pris par leurs soins) pour représenter « le » musée des peintures et la restitue en négatif. « Ce signe témoigne de tensions qui existent entre permanence et mobilité, entre histoire et art, entre-temps et espace, et tire sa force de contradictions vitales »12. En gravant le mot Louvre dans une empreinte de ciel, Grapus sculpte, sans acte ou matérialisation d’éclaboussures (l’un de ses éléments de langage), un geste pictural et leur considération sophistiquée de l’« image poétique »13. Ce ciel renvoie à ces firmaments dans les tableaux, cette évanescence picturale que l’on découvre sur une toile de maître, en fouillant scrupuleusement la moindre parcelle de pigments de ces espaces où l’œil rêvasse14 flotte tout en cherchant précisément à ne rien perdre. Tout ciel met en abyme notre regard15.
« Ce qui fait écart m’a donc toujours attiré, car l’historien de l’art se trouve dans une situation un peu triste : ayant regardé tellement de reproductions, visité tellement de musées, il a fini par mémoriser les trois quarts des tableaux qu’il a eu l’occasion de voir. La surprise est donc de plus en plus rare pour lui, et vivre sans surprises est assez triste. Comme j’aime les surprises, réussir à percevoir ce que je ne m’attendais pas à voir est ce qui m’a attiré dans cette réflexion sur les détails : ce qui fait écart à l’ensemble, mais aussi ce qui peut condenser dans ce minuscule écart la signification de l’ensemble »16.
Le logo enferme l’air de Paris17. À l’instar de la pyramide de Pei, il « redonne du ciel aux parisiens », un espace d’émerveillement. « Nous amenions dans la dimension institutionnelle une fragilité absolument grandiose et constitutive de la matière du musée, le temps qui passe »18.
Ce logo se définit par l’indétermination, dans ce sens démocratique qui fait que le ciel, comme le patrimoine national, appartient à tous, qu’il appelle à un positionnement de la part du spectateur, qu’il est le siège des projections, le recueil des incertitudes. Un logo « paradoxal » tant il se joue du stable (de l’établissement, du cadrage), du monumental (la typographie, l’immensité du ciel) et de l’évanescence (la fluidité d’une matière informelle), tant il signifie instantanément sans figer le(s) sens.
Cette commande est associée à la dispersion de Grapus, Gérard Paris-Clavel et Alex Jordan pensant qu’elle était contraire à leur engagement politique, à l’inverse de Pierre Bernard et de Jean-Paul Bachollet. « Cette divergence d’opinion vint précipiter le processus de désintégration de Grapus. Le nouveau studio de Bernard, l’atelier de Création Graphique a travaillé pour le Louvre jusqu’en 1993 »19.
Ce logotype est une figure survivante, à jamais isolée de l’identité originale, puisque celle-ci, rapidement, a été dispersée dans la complexité de la succession des directions de l’institution prestigieuse20. Depuis les années 1990, l’unité graphique du Louvre n’est jamais parvenue à se construire. Quand on continue d’aller régulièrement au Louvre, on peut s’étonner que le design graphique en reste à un état fantomatique, surgissant parfois ici ou là, comme une façon de ne pas contrarier les « vraies images » que sont les œuvres d’art. Un état de fait qui peut apparaître comme un manque de générosité au public, varié, gourmand, des Londoniens habitués à l’identité ambitieuse de la Tate Modern, des Hollandais éduqués par les successives expérimentations au Stedelijk Museum, des Espagnols du musée du Prado, des Japonais du Mori art museum…21
Durant sa direction artistique22 Philippe Apeloig23 a réussi à imposer quelques belles créations, essentiellement des affiches24, mais elles demeurent des éléments isolés dans un paysage graphique distant25. Reconsulté par le Louvre26, Pierre Bernard et son Atelier de Création Graphique a tenté de repenser cette fracture identitaire, mais a finalement dû abandonner : « le Louvre est une entreprise qui fonctionne sur des critères de marketing de masse et uniquement »27.
Fin 201128, le Louvre lance un appel d’offres restreint29 portant sur la refonte de l’identité visuelle et de la charte graphique du musée du Louvre, ainsi que pour un conseil artistique. Michel Lepetitdidier décide d’y participer et remporte le concours30. Pour répondre à l’ampleur de la demande que le graphiste résume en trois points : « une grande unité et cohérence appliquée aux différents supports de communication ; un parti pris innovant et fortement identifiable, une réelle souplesse d’utilisation », Nicolas Pleutret intègre le studio de Michel Lepetitdidier. Il fut son assistant de 2001 à 2003 et, depuis 2004, il reste attaché à ce rôle sur certains projets, tout en développant son propre travail comme graphiste indépendant31. Michel Lepetitdidier est l’un des graphistes les plus discrets du paysage francophone32, peu volubile au sujet de son travail, peu représenté dans les milliers de pages s’écoulant sur le design graphique33. Depuis 1996, Michel Lepetitdidier forge l’image du musée Nicéphore Niépce, une identité empreinte par l’esthétique moderniste. Le Louvre semblait opter pour un parti pris courageux et exigeant, or, une nouvelle fois, le projet se réduit quelques années plus tard comme peau de chagrin. Il faut s’entraîner à un passage furtif au Louvre, aussi furtif que laissant peu de traces 34. En mars 2014, la directrice de la communication et du mécénat signifie au studio que la charte (livrée en septembre 2013) est caduque, mais que les graphistes doivent continuer à les aider dans le travail de conception graphique sans contredire les remarques et les corrections. Après deux années, de travail laborieux pour mettre en place une identité, celle-ci est abandonnée, reléguée dans un musée fictif, conservant les identités avortées et censurées35.
La valeur de la proposition initiale demeure. Leur proposition déploie une logique peu commune : radicale et classique, distante et frontale. Premier acte, devant conserver le logo de Grapus, cet élément devient de facto la base de la construction de la nouvelle identité, un module-hommage.
« Afin de redéfinir la présence du logotype (existant), notre réflexion s’est portée sur la création d’une architecture définissant son positionnement. C’est donc naturellement à partir de ses proportions que cette architecture se construit. Le rapport 10/3 peut se décomposer ainsi : 9/3 + 1/3, soit 3 carrés + 1/3 d’espace… Le carré est une forme appartenant au musée du Louvre (cour carrée, Salon carré, pyramide…). En coupant ce carré par ses deux diagonales, nous faisons apparaître l’élément graphique qui compose l’ensemble de notre réflexion ».
Axe dynamique, la diagonale devient le vecteur de rythmes dans des compositions mesurées, la diagonale assume un rôle de découpe, scandant et heurtant notre captation d’une image. Depuis les années 1990, Michel Lepetitdidier construit un rapport particulier à l’image à partir d’une grammaire des formes, simple, issue notamment du constructivisme36. Il cisèle une structuration par plans, par incrustation de photographies et d’éléments graphiques, où obliques et blancs mènent l’œil. Patiemment, sans artifices, Michel Lepetitdidier met en focale un cinétisme dans des compositions fixes. Ce vocabulaire, le graphiste l’a toujours mis au service d’une lecture des images dites artistiques37. Convaincu par cet art minimaliste de construction, le typographe et graphiste Damien Gautier relevait pour la revue d’art 50sept que « Michel Lepetitdidier joue de la qualité et de la nature même des images pour établir des compositions renouvelées à chaque page »38.
Le système que Michel Lepetitdidier et Nicolas Pleutret proposent au Louvre, atteint sa concrétisation dans les affiches annonçant les expositions39, et se lit dans ce respect aux œuvres d’art, rendant possible (et rendu possible par) une fine observation. Leur structure génère des marges blanches, révérencieuses, silencieuses, presque obséquieuses. Elles forcent le regard à un examen attentif, à une circulation concentrée. La grille géométrique et le cadrage extérieur blanc purifient le regard de l’environnement extérieur. Le projet se développe autour de cette double conjonction, une taille précise dans une œuvre d’art et l’établissement complexe d’un système unifiant basé sur la grille. La logique de cette identité témoigne d’un systématisme scrupuleux. Une fois installée dans le paysage parisien, le système se fera oublier pour que l’œil ne cherche que l’œuvre. L’œuvre d’art en question ne se lit plus comme un tout, fermé dans un cadre, mais exige de l’œil une lecture fractionnée. La grille, par ses marges, opère parfois par une césure blanche, un léger décalage, ou parfois, cisèle et agrandit, en privilégiant certains morceaux d’une œuvre d’art, en en cachant d’autres. Les graphistes laissent libre, ouvert, le regard sur l’œuvre, par le recours à la fragmentation.
« Il faut essayer de reconnaître à l’‘éclatement’ ou à ‘la dislocation’ une valeur qui ne soit pas négation »40.
Optant pour une attitude de géomètre, les graphistes construisent une identité déroutante, qui piège l’œil dans des marie-louise blanches et le laisse pourtant libre de se perdre dans son parcours de l’image. « Ce n’est plus le format de l’affiche qui fait le cadrage mais les carrés tel un moucharabieh agrandi » indique la charte. Ce recours au moucharabieh renvoie aussi à la structure visible de la pyramide mais plus généralement aux structures invisibles qui conditionnent notre perception. Hans Belting analysant la fenêtre, comme structure de l’art et de l’œil occidental et le moucharabieh comme étant celles de l’Orient, écrit : « dans ce cas [la fenêtre en Occident], le sujet devient actif par le regard, tandis que dans l’autre, il vit la lumière – et donc une puissance qui dépasse l’individu – comme un spectacle cosmique »41. La déroute que produit l’identité visuelle de Michel Lepetitdidier et Nicolas Pleutret oscille entre cette double manière de poser notre regard, une fenêtre profonde qui encadre, qui guide, qui conduit, et une structure moucharabieh, qui joue de la lumière et de l’éclatement de la vision. L’œil est-il ébloui ou scrutateur ?
Le système de Michel Lepetitdidier et Nicolas Pleutret interroge l’œil et la perception (nos structures invisibles qui organisent le perçu), la manière dont nous saisissons une œuvre d’art et subrepticement, il affirme le droit de s’emparer de l’œuvre par sa problématique reproduction. Dans le catalogue d’Images d’utilité publiques, le Rijkmuseum d’Amsterdam est présenté à travers le travail du studio Dumbar et d’une superposition des logos sur fond de prélèvements d’œuvres d’art.
Osons écrire qu’un graphiste a le droit de cadrer, morceler, travailler les plans à différentes échelles dans une image, même s’il s’agit d’un portrait de Raphaël, car il ne touche qu’à une reproduction et dorénavant, il ne dissèque qu’une matière numérique, une accumulation de pixels42. Le dessein du graphiste consiste à donner une identité à une structure (institutionnelle) et à construire une image, qui aide à regarder/penser l’œuvre (que propose la structure). La proposition d’affiches pour l’exposition Giotto e compagni est à ce titre exemplaire. Les deux affiches évoquaient le fond doré et fissuré des icônes, le bouleversement spatial et pictural que provoqua le Florentin, comment le geste, ici cette main tendue, n’est plus soumis à des conventions, mais tend à montrer « avec tant de vérité comment chaque personnage manifeste sa peine que nous percevons parfaitement la douleur de ceux dont nous ne voyons même pas le visage »43. Les affiches proposées (et rejetées) misent sur cette main. L’affiche voulue par Le Louvre montre deux personnages (et leur visage) et « donne » une scène (issue de la vie quotidienne) en entier, sans ambiguïté… « L’échange de lieux communs est une communication sans autre contenu que le fait même de la communication. Les ‘lieux communs’ qui jouent un rôle énorme dans la conversation quotidienne ont cette vertu que tout le monde peut les recevoir instantanément : par leur banalité, ils sont communs à l’émetteur et au récepteur. À l’opposé, la pensée est, par définition, subversive… » 44.
Ambigu vis-à-vis de leur identité, nombre de musées conservent leur peur face à cette désacralisante reproductibilité, mais à laquelle il succombe pour vendre des millions d’objets dérivés (en France, comme dans beaucoup de pays, une carte postale coûte environ le prix d’une baguette de pain). Cette crispation à contrôler même les reproductions (un siècle après les facéties duchampiennes) semble traduire la peur de la perte, celle d’être démuni face à la complexité de notre monde, extensible, reproductible, numérisé, médiatisé dans tous ses retranchements. Pire, peut-être, que la peur, la nécessité de rester autoritaire, de maintenir un régime d’oppression symbolique. « Comme les œuvres d’art peuvent être reproduites, n’importe qui peut, théoriquement, les utiliser. Pourtant, de nos jours, les livres d’art, les revues, les films ou les cadres dorés accrochés dans les salons, assignent presque toujours aux reproductions, le rôle d’entretenir l’illusion que rien n’a changé, que l’art, avec son autorité unique et toujours intact, justifie la plupart des autres formes d’autorité, que l’art rend nombre d’autorité, que l’art rend nobles les inégalités et excitantes les hiérarchies » écrivait John Berger en 1977 dans Voir le Voir.
La pauvreté graphique (en décalage avec la création contemporaine) de certains étendards muséaux permet d’une certaine manière de continuer à placer des frontières (là, où elles n’ont pas lieu d’exister) entre l’art et les artisanats adjacents, dont le graphisme. Dans ce positionnement par défaut, le graphiste ne peut opérer son travail. Il n’a pas à reproduire une œuvre, à entretenir une idéologie issue d’une économie des regards spoliente, mais à la commenter. « En se déplaçant ainsi d’un mécanisme de production à une posture de commentaire, la critique opérative peut faire un meilleur usage de sa longue pratique réflexive ». Il faut relire en ce sens les propos du graphiste Jan Van Toorn, concepteur de l’identité du musée hollandais Van Abbemuseum dans les années 197045. Il faut réfléchir à partir de l’histoire du design graphique pour établir des espaces réflexifs possibles (ici, les marges blanches)46, et imaginer des identités qui intensifient nos regards. Quand Irma Boom et son atelier conçoivent le guide des collections du Rijksmuseum c’est vingt-cinq ans de réflexion et d’expérience du design graphique qu’elle réduit dans une somme d’apparence si modeste (et pour dix euros) et les dix premières double-pages parlent superbement.
L’enjeu (d’acceptation, de compréhension du rôle, des enjeux et des fonctionnements du design graphique) est de taille.
Malgré les études sociologiques et de nombreuses tentatives, les pratiques culturelles restent déterminées par les catégories sociales et les revenus. Le musée, malgré lui, entretient la discrimination47. Ces principes d’exclusion ne consistent plus simplement au fait d’ouvrir les portes aux masses. Canaliser la foule ne suffira pas, il faut extraire de la foule et provoquer des éclairs de conscience critique. Car la magie reste la même, quand une visite, une œuvre, décide d’un changement de « cadres » de vie48 ; quand un coin de ciel, une structure d’obliques déplacent l’horizon. Le design graphique se doit de participer à atténuer les marques sociales, il doit être convié à imaginer des stratégies complexes, multiples, paradoxales, en alliance avec d’autres, experts de sciences sociales, spécialistes d’art, designers… L’éclatement des expertises précipite un prisme de conceptions, où le design graphique a à agir, à construire une interface d’intelligence et de sensibilité pour le public, pour une intelligence publique, une intelligence du public. Une interface invitant à se déplacer dans un musée, à se déplacer dans une image, à déplacer son point de vue sur une œuvre.
« Dans sa quête d’absolu vers la vérité de l’art, Michel-Ange abandonne quand il sent qu’il ne peut atteindre son idéal. Il laisse ainsi bien visibles les marques des outils, pics et pointes, râpes, gradines et trépans, ces marques vivantes de son combat inlassable avec la matière, qu’il creuse avec acharnement, pour en tirer l’idée emprisonnée »49
Le combat n’est pas que le propre de la sociologie et de l’œuvre (d’art). De quelles manières, l’histoire du design graphique doit-elle lire (et apprendre à lire) les traces de combat dans ses projets même ?
- Selon les propos de Jean-Luc Martinez, directeur du Louvre nommé en avril 2013 extrait de http://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-3/soir-3/jt-grand-soir-3-lundi-2-decembre-2013_467496.html [↩]
- Cf : Rouard-Snowman Margo, Graphisme et musées, RMN, 1993 (p.57-63) ; Hugues C. Boekraad, Pierre Bernard, Ceci n’est pas mon travail. Design pour le domaine public, Lars Müller Publishers, 2006 (p.218-220) ; sous la direction de Tino Grass, avec les contributions de Ellen Lupton et Alice Morgaine, Typorama, Philippe Apeloig : design graphique, Les Arts Décoratifs, 2013 (50-54). [↩]
- D’autant plus si l’on pense à la surface du musée et au nombre de ses visiteurs [↩]
- élaboré par le studio Thérèse Troïka au département des antiquités égyptiennes du Louvre en 1993-1997. [↩]
- http://www.louvre.fr/sites/default/files/rapport_activite/fichiers/pdf/louvre-frequentation-musee-louvre-chiffres_0.pdf [↩]
- Fonction qui renvoie à celle de documenter par exemple par des frises chronologiques… [↩]
- Présentée du 3 février au 28 mars 1988 dans la Galerie du centre d’information du CCI au Centre Pompidou. [↩]
- Rouard-Snowman Margo, Graphisme et musées, RMN, 1993. [↩]
- « En 1989 est dressée la célèbre pyramide de verre, à structure arachnéenne, qui abrite un vaste hall d’accueil, avec salles d’exposition, auditorium et librairie », in Geneviève Brest, Mémoires du Louvre, découvertes Gallimard/RMN, 1994, p.126 [↩]
- Seuls les dessins de Pei de la pyramide peuvent être utilisés. [↩]
- Catherine de Smet, « Histoire d’un rectangle rayé : Jean Widmer et le logo du Centre Pompidou » in Les Cahiers du musée national d’art moderne, n°89 (spécial design graphique, automne 2004), p.21. [↩]
- Rouard-Snowman Margo, Graphisme et musées, RMN, 1993. [↩]
- « Mais alors que le télégramme se limite à la transmission d’une information non ambiguë, l’affiche poétique visualise une idée complexe, souvent ambigüe. (…) L’affiche poétique glisse sur le bord de l’inexprimable : lisez et regardez, mais la signification veut dire autre chose ». In Hugues C. Boekraad, « Poésie par Voie d’affiches » in Catalogue du 17e festival de international de l’affiche et des arts graphiques de Chaumont, 2006, p.144. Ce texte est un essai sur l’affichiste polonais Henryk Tomaszewki [↩]
- Ce signe fait référence « aux rêves et à fragilité. La légèreté de l’image photographique contraste avec la monumentalité, l’historicité et la solidité des lettres », Hugues C. Boekraad, Pierre Bernard. Ceci n’est pas mon travail. Design pour le domaine public, op. cit. [↩]
- « Il y a aussi dans cette image « ouverte » dans le sens d’Umberto Eco, dans ce regard rétrospectif sur la plasticité des œuvres de l’ancien régime, un discours du cadre, de la composition – même si, en l’occurrence, le ciel nuageux est un effet de résistance à la construction perspective comme l’a montré Erwin Panofsky –, de ce qui fait le tableau tel qu’en parle Jean-François Chevrier. Il y a quelque chose aussi du dessin classique ou « baroque gelé » dans ce noir et blanc, ce dessin préféré depuis la Florence néo-platonicienne à la couleur comme une décision intellectuelle, une révérence à la déesse raison pour citer Maximilien Vox parlant du Didot », note éclairante de Thierry Chancogne à la lecture du présent texte [↩]
- Daniel Arasse, Histoire de peintures, Folio essais, 2004, cf Le chapitre La peinture au détail, p.267-268. [↩]
- Clin d’œil peut-être Duchampien [↩]
- Conférence de Pierre Bernard à Pau en mai 2012. http://vimeo.com/44792598 [↩]
- Hugues C. Boekraad, Pierre Bernard, Ceci n’est pas mon travail. Design pour le domaine public, op. cit. [↩]
- Pourtant depuis 1994, les différents graphistes – Philippe Apeloig et Michel Lepetitdidier – amenés à consolider l’identité, ont eu pour obligation de conserver les deux typographiques originelles la Granjon et l’Univers, choisies par Grapus. [↩]
- cf Le travail graphique de la Tate par John Morgan, le musée national du Prado par Fernando Gutiérrez, Le Mori art museum par Jonathan Barnbrook, cf Angus Hyland et Emily King, Identités graphiques et culturelles, Pyramyd, 2006 [↩]
- Il a commencé un travail au Louvre dès 1994 « pour renforcer et clarifier l’identité visuelle, il choisit de préserver le logotype de Grapus, ainsi que les contributions d’autres intervenants, en leur donnant plus de structures », in Typorama, op.cit., p.50. [↩]
- « Pierre Rosenberg confie au jeune pensionnaire de retour de Rome, le soin de maintenir l’identité visuelle du musée (…). Les neuf années suivantes, la collaboration se resserre avec le magnifique établissement où le nouveau président-directeur, Henri Loyrette, nomme Apeloig Directeur Artistique et lui constitue une équipe interne jusqu’en 2007 », in Alice Morgane, Typorama, op.cit., p.22 [↩]
- Notamment l’affiche « trombinoscope » pour la Saison 1996/1997. [↩]
- Non pas que le graphisme n’ait pas à être une structure consolidante invisible, mais ici, l’invisibilité tient plutôt à la difficulté d’imposer un discours [↩]
- La seconde consultation était un appel d’offres de 2008 effectivement rompu en 2011, précision de Pierre Bernard [↩]
- Conférence de Pierre Bernard à Pau en mai 2012. http://vimeo.com/44792598 [↩]
- Voici la chronologie exacte : Décembre, publication de l’appel d’offres ; janvier 2012, dépôt des dossiers ; fin février 2012, admis à présenter une offre – 5 candidats retenus – ; avril 2012, rendu de la proposition ; octobre 2012, première présentation auprès d’Henri Loyrette [↩]
- A priori, concernant les studios suivants : C Super, Les ouvriers du paradis, Polymago, Philippe Apeloig. [↩]
- Attribution du marché pour une durée maximale de 4 ans, renouvelable tous les ans en juillet 2012. [↩]
- Notamment pour les écoles supérieures d’art de Nancy, de Metz et l’école d’architecture de Nancy. [↩]
- La récente exposition à la BNF, Graphisme contemporain et patrimoine(s) du 17 septembre 2013 au 17 novembre 2013 montrait son travail, notamment celui du musée Nicéphore Niépce. [↩]
- Mise à part dans le Livre de Damien Gautier, Mise en page(s), etc. Manuel, Pyramyd, 2010 [↩]
- Cf Le film de Jean-Luc Godard, Bande à part, 1964. [↩]
- Qui pourrait précéder le cimetière des logos enterrés. CF The Stone twins, Logo R.I.P. A commemoration of Dead Logos, Amsterdam, Bis publishers, 2003 [↩]
- « Je suis et je serai toujours amoureux de la jeune fille au Leica… du mot ‘constructivisme’… de ce ‘process’ graphisme qui verse l’œil/récepteur au cœur du propos… de cette ‘cinétique’… de ces angles qui rendent la lecture aiguë… oui… encore… j’aimerai ce mot Cons…Truc…Ti…Visme qui, à haute voix, sonne comme un plaidoyer », In Affiches constructivistes russes 1920-1940. XXIe festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont, Pyramyd, 2010, p. 76. [↩]
- cf. son travail pour le musée Nicéphore Niépce, la revue d’art de Moselle 50sept, le musée Denon, l’espace EDF/Electra… [↩]
- Damien Gautier, op.cit., p226 [↩]
- D’ailleurs, l’affiche pour l’exposition De L’Allemagne fait partie de la sélection des affiches françaises 2013 organisée par le festival de Chaumont et de l’exposition « C’est affiché près de chez vous ». [↩]
- Maurice Blanchot, L’entretien infini, Gallimard, 1997, p 452 [↩]
- Hans Belting, « La fenêtre et le moucharabieh : une histoire de regards entre orient et occident » in Emmanuel Alloa (ed), Penser l’image, les presses du Réel, 2010 p145-171 [↩]
- Questionnements que portaient d’un autre manière, Pascal Béjean et Nicolas Ledoux pour la saison 2009-2010 du théâtre des Amandiers. [↩]
- E.H Gombrich, L’histoire de l’art (1950), Phaidon, 2001 p.202 [↩]
- Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, 2008, p.31 [↩]
- Cf Jan Van Toorn, « Graphisme et réflexivité », 1994, in Graphisme en textes, Pyramyd, 2009, pp. 102-107 [↩]
- Les frontières quand elles ne font que délimiter ne servent à rien, elles se doivent de permettre les échanges. [↩]
- « Pour les fils de paysans, d’ouvriers, d’employés ou de petits commerçants, l’acquisition de la culture scolaire est acculturation », in Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Les étudiants et la culture (1964), Les éditions de minuit, 2012, p.36. [↩]
- Cf L’interview de Jean-Luc Martinez : http://www.dailymotion.com/video/x158i62_les-matins-louvre-la-renaissance_news?start=162 [↩]
- D’après la notice d’œuvre établie par Geneviève Bresc Bautier accessible depuis http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/captif au sujet de Michelangelo BUONARROTI dit MICHEL-ANGE (Caprese (Arezzo), 1475 – Rome, 1564) : Captif (l’Esclave rebelle et l’Esclave mourant. [↩]