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This is a chord. This is another. This is a third. Now form a band.1

Gabor Arion Kudasz, Memorabilia, auto-édité, 2010-2014, 184 p., 300 ex., 20 x 28cm

Zines of the zone est une bibliothèque itinérante dédiée à l’édition photographique auto-publiée ou indépendante (photobooks, photozines, et autres éditions utilisant l’image photographique — qu’il s’agisse, le plus souvent, d’images produites par les auteurs, ou parfois d’images trouvées). Si l’autoédition est une pratique aisément identifiable, la notion d’indépendance s’avère quant à elle beaucoup plus difficile à définir. Disons que Zines of the zone est dédiée à des pratiques éditoriales et photographiques qui ont pour plus petit dénominateur commun d’être toujours auto-initiées et de sortir des modèles éditoriaux qu’on pourrait qualifier de conventionnels, tant sur le plan esthétique qu’économique. Des pratiques éditoriales qu’on peut également décrire comme étant « alternatives », même si là aussi, le terme est flottant. Le théoricien des médias Chris Atton note ainsi que le terme « alternatif » est souvent employé indifféremment comme synonyme pour « underground », « radical », « en opposition », ou même « samizdat ». Pour clarifier cette ambivalence, il propose de qualifier les médias alternatifs non seulement du point de vue de leur contenu mais aussi en fonction de leur économie de production et de diffusion :

Rather than attempt to define alternative media solely by content I propose a theoretical and a methodological framework that incorporates content as one element in an alternative media culture that is equally interested in the processes and relations that form around alternative media production. That is, I define alternative media as much by their capacity to generate non-standard, often infractory, methods of creation, production and distribution as I do by their content.2

Pendant plusieurs mois, la bibliothèque Zines of the zone s’est déplacée à un rythme soutenu à travers toute l’Europe : Europe de l’ouest, centrale, du nord, méridionale, etc. L’été 2014 et la rentrée ont été l’occasion d’un retour en France, d’où le périple avait commencé : Le Monte en l’Air à Paris, Millefeuilles à Nantes, la Straat galerie à Marseille, le festival Manifesto à Toulouse, etc. Chaque étape de cette itinérance est l’occasion de collecter de nouvelles publications qui relèvent toutes d’une économie micro-éditoriale bien qu’elles résultent de moyens de production on ne peut plus diversifiés, de la photocopie à l’offset en passant par l’impression laser, la risographie, la sérigraphie ou les technologies de print on demand.
À cette diversité des modes de production répond celle des pratiques photographiques : des plus documentaires aux plus abstraites, elles relèvent selon les publications de postures militantes, de démarches autobiographiques ou intimistes, d’une production de type « photo-souvenir », des genres spécifiques du portrait ou du paysage, de démarches conceptuelles, d’un rapport iconique à la sculpture (sculptural photography), etc.
Tout l’intérêt de ce projet est d’appréhender l’édition contemporaine à travers cette double entrée photographie/indépendance, c’est-à-dire du point de vue des contenus et de leurs modalités de production et de diffusion, plutôt qu’à travers des catégories éditoriales prédéfinies telles que le livre de photograph(i)e, le livre d’artiste, le fanzine, etc. De fait, la bibliothèque offre des exemples de toutes ces catégories de publications, éventuellement en les classant mais sans les isoler. On est alors frappé, non pas par l’identité, mais néanmoins par la proximité de certaines éditions dont la relation à la photographie et à l’art sont différentes, mais dont l’économie, dont les formes éditoriales, et surtout dont l’esprit de réseau et de circulation sont proches voire similaires, alors que précisément, leurs réseaux respectifs de production et de diffusion les tiennent souvent à l’écart les unes des autres.
Zines of the zone offre la possibilité, finalement pas si fréquente, de lire et de regarder successivement un photobook, un fanzine de skate, et un livre d’artiste post-conceptuel, et permet de vérifier qu’il s’agit là de familles éditoriales ayant chacune leur histoire et leurs spécificités, tout en comprenant pourquoi il est néanmoins pertinent de les réunir pour s’y intéresser de façon transversale.
Surtout, Zines of the zone donne à voir des publications dont les faibles tirages rendent l’accès difficile, en dépit de la volonté de diffusion qui motive souvent leurs auteurs. Il y a en effet une sorte d’utopie démocratique3 commune à ces diverses catégories de publications, mais celle-ci ne vise pas tant une diffusion de masse que la circulation à une échelle modeste parmi des réseaux et des communautés au sein desquels ces éditions deviennent des objets d’échange et de communication, et où chaque édition est une invitation non seulement à lire ou à regarder, mais aussi à devenir à son tour auteur, éditeur ou diffuseur de tels objets.
Comme le note par ailleurs Sofia Gonçalves :

We can take most manifestations of self-publishing as political or ideological acts, which defy systems of representation, display and circulation of the artistic production. As a consented and desired niche, the independent publication is therefore a reserve that, solely by the fact that it’s done and it’s available to another, questions Order, Systems of Value and legitimacy of Art.4

Cela peut paraître anecdotique, mais il y alors comme un paradoxe à voir une part non négligeable de ces publications signées et/ou numérotées, selon une tradition empruntée au marché de l’art et à la bibliophilie, alors que, même à faible tirage, elles ne sont ni couteuses, ni précieuses. Ce geste est vraisemblablement impensé par la plupart des auteurs qui le pratiquent. Peut-être est-ce pour certains une façon de rendre consciente à elle-même la communauté des lecteurs d’un livre. Mais ce faisant, le lectorat de ces publications se trouve circonscrit et clos sur lui-même, alors que l’utopie qui est celle des pratiques éditoriales alternatives induit d’envisager l’idée de communauté et de réseau comme des entités ouvertes, toujours susceptibles d’accueillir — du moins théoriquement — de nouveaux lecteurs (et donc aussi de nouveaux acteurs du réseau).
Un projet tel que Zines of the zone a alors un énième intérêt : celui d’accentuer la circulation de ces éditions — en particulier lorsqu’elles sont artificiellement limitées pour des raisons qui ne sont pourtant induites ni par leurs modes de production, ni par leur esthétique, ni par leur propos — en privilégiant la circulation et la consultation à la collection et à la conservation. De ce fait, l’expérience qui en résulte sera peut-être éphémère, mais elle est opérante.

1. Extrait du fanzine punk Sniffin glue cité par Maria Fusco in « Publish/Public, John Miller & Maria Fusco in discussion », Put About: A Critical Anthology on Independent Publishing, Londres, Book Works, 2004, p. 149. [↩]
2. Chris Atton, Alternative Media, Londres, Sage Publications, 2002, p. 3-4, ma traduction. [↩]
3. cf. Jérôme Dupeyrat, « As cheap and accessible as comic books : l’utopie démocratique du livre d’artiste », Δ⅄⎈, N°3, automne 2012, pp. 11-29, également en ligne à l’adresse suivante : http://f-u-t-u-r-e.org/r/12_Jerome-Dupeyrat_L-Utopie-democratique-du-livre-d-artiste_FR.md [↩]
4. Sofia Gonçalves, Samizdat, en ligne sur http://samizdat-pub.tumblr.com/ [↩]