âLa beautĂ© de Laure nâapparaissait quâĂ ceux qui devinent. Jamais personne ne me parut comme elle intraitable et pure, ni plus dĂ©cidĂ©ment « souveraine », mais en elle rien qui ne soit vouĂ© Ă lâombre.â Georges Bataille
Laure, de son vrai nom Colette Peignot (1903-1938), est un mĂ©tĂ©ore dans la vie littĂ©raire française. AprĂšs sa mort, Michel Leiris et Georges Bataille, avec qui elle vĂ©cut une liaison tourmentĂ©e, publient une Ă©dition hors commerce dâune partie de ses Ă©crits sous le titre Le sacrĂ© ainsi quâHistoire dâune petite fille. Il faut attendre les annĂ©es soixante-dix, pour que son Ćuvre soit redĂ©couverte et accessible aux lecteurs, grĂące Ă Bernard NoĂ«l et Ă JĂ©rĂŽme Peignot.â 1
Ă lâoccasion de la publication de ce nouvel opus dans sa collection Cheval Vapeur, les Ă©ditions du Chemin de Fer sĂ©lectionnent deux Ă©crits liĂ©s Ă lâauteure : un texte de Laure, Histoire dâune petite fille, interprĂ©tation autobiographique dâun moment dâenfance, suivi de Vie de Laure, portrait posthume dressĂ© par Georges Bataille. Ces temporalitĂ©s croisĂ©es laissent librement Ă©voluer la personnalitĂ© de lâĂ©crivaine.
Ă la dĂ©couverte du/des caractĂšre(s) de cette mystĂ©rieuse Laure/Colette, nous sommes partis Ă la recherche dâĂ©lĂ©ments pouvant apporter des clĂ©s de lectures complĂ©mentaires. Nous avons alors choisi de souligner lâappartenance de Laure Ă la bourgeoise famille Peignot, impliquĂ©e dans la fonderie de caractĂšres française G. Peignot & fils â future Deberny & Peignot. Les rĂ©fĂ©rences que nous faisons au monde de lâindustrie typographique viennent rythmer la lecture de lâouvrage. Les spĂ©cimens de caractĂšres de la fonderieâ 2 , documents publicitaires et techniques, donnent lieux Ă des compositions dĂ©monstratives dans lesquelles les caractĂšres et Ă©lĂ©ments typographiques pĂ©riphĂ©riques sâexposent de maniĂšre presque abstraite Ă diffĂ©rentes Ă©chelles. Ils nous ont offert une formidable matiĂšre que nous avons choisi de dĂ©placer.
En couverture, des agglomĂ©rats de filets jouent avec la naĂŻvetĂ© premiĂšre du titre pour qui ne connait pas lâhistoire de Laure. Puis, entre le texte de Laure et celui de Bataille, la marque du temps qui sâĂ©coule est donnĂ©e Ă voir Ă travers une sĂ©quence de compositions filaires. DĂ©pouillĂ©s de leurs connotations techniques, ces emprunts deviennent des formes autonomes en suspension dans lâespace de la page. Les jeux de combinaisons sont amplifiĂ©s par la transparence du papier.
Le caractĂšre Cochin compose le texte de labeur, il fait rĂ©fĂ©rence Ă lâun des grands succĂšs de la fonderie Peignot de la Belle Ăpoque â pĂ©riode pendant laquelle Georges Peignot, pĂšre de Laure, dirige la fonderie. Il est accompagnĂ© pour les titres du Mitraille, alphabet dessinĂ© pour lâoccasion, dâaprĂšs un caractĂšre amĂ©ricain de type De Vinne, trĂšs largement diffusĂ© dans les fonderies europĂ©ennes au dĂ©but du XXe siĂšcle. Cet alphabet Ă©tait utilisĂ© Ă rĂ©pĂ©tition, notamment au sein de documents Ă©ditĂ©s pendant la Grande Guerre. En atteste un facsimilĂ© dâun journal de tranchĂ©es que nous reproduisons en fin dâouvrage.
Les titres comme les lettrines utilisent le Mitraille qui tombe comme une sentence au milieu dâune atmosphĂšre calfeutrĂ©e, suggĂ©rĂ©e par des marges de texte confortables et des couleurs raffinĂ©es, rappelant le drame qui a touchĂ© la famille Peignot. Celle-ci perd Georges ainsi que ses trois frĂšres au front, un traumatisme qui marquera profondĂ©ment Laure.
Thomas Bouville et Sarah Kremer
- Texte de quatriĂšme de couverture rĂ©digĂ© par les Ă©ditions du Chemin de Fer. [↩]
- Les ornements typographiques utilisĂ©s en couverture ainsi que dans le livre sont extraits du SpĂ©cimen Deberny & Peignot volumeâ1, du SpĂ©cimen GĂ©nĂ©ral de la fonderie Georges Peignot & fils tomeâ1, du spĂ©cimen les Cochins de la fonderie Peignot & Cie et du spĂ©cimen la Typographie Cochin de Deberny & Peignot. [↩]