Maxime Rossi – Real Estate Astrology
Galerie Allen, Paris
Maxime Rossi ne se contente pas de faire des expositions. Ses œuvres s’inscrivent dans le temps long de projets multiformes, dont l’exposition en galerie n’est qu’une incarnation temporaire. La présentation du film Real Estate Astrology à la Galerie Allen fait suite à sa projection au Centre Pompidou le 25 février dernier, et réunit plusieurs éléments récurrents (une conteuse, des pots en céramique, un certain attrait pour les effets optiques) autour de l’écran de projection qui en constitue l’axe central.
Comme son titre l’indique peut-être, le film Real Estate Astrology fait le lien entre deux quêtes, celle d’un espace à soi (la propriété) et celle de la connaissance de son propre destin, telle que la promet l’astrologie. Il superpose l’exploration d’un territoire (Sedona, Arizona) à la lecture d’un thème astral par une voix d’homme, entrecoupée du chant plaintif d’un saxophone. Tous deux sont liés à la figure de Max Ernst : c’est dans cette vallée reculée de l’arrière-pays américain que le peintre et sculpteur surréaliste, à cinquante ans révolus, était venu élire domicile avec sa jeune femme Dorothea Tanning. Le thème astral est celui de Ernst. Tout comme le peintre avait trouvé Sedona lors d’un voyage en voiture entre New York et la Californie, le projet de Maxime Rossi est traversé par l’idée de rencontres, de hasard et de coïncidences, peut-être pas entièrement fortuites.
Lors d’un premier voyage de recherche en Arizona, Maxime Rossi entend parler de la maison de Max Ernst et de sa situation dans un canyon inaccessible. De la recherche de cette cabane sont issues les images du film (un mouton dans son étable, une rivière, un canyon, l’intérieur d’une maison, une sculpture de Max Ernst), que Maxime Rossi rend dans une version tournée en anaglyphe – deux pistes se superposent, l’une rouge, l’autre bleue. Muni de lunettes rouges et bleues, le spectateur accède par moments à une forme de 3D rudimentaire ; cependant, des décalages ménagés pendant le montage détruisent vite l’illusion de la stéréoscopie. Diffractées et confuses, les images du film donnent au spectateur louchant derrière ses lunettes en carton la sensation d’une irréalité proche des recherches surréalistes sur le rêve et les hallucinations.
La recherche de la maison de Ernst dans la vallĂ©e de Sedona, devenue un haut-lieu de la culture New Age, s’avère apparemment plus difficile et plus longue que prĂ©vue, et faite de rencontres. C’est au cours de cette quĂŞte que Maxime Rossi fait la connaissance d’un saxophoniste astrologue qui, sur la base d’une erreur dans l’heure de naissance de Max Ernst, lui propose une nouvelle version du thème astral de l’artiste, « corrigeant » ainsi celui Ă©tabli par Breton vers 1930. Avec son cĂ´tĂ© un peu « Twin Peaks », la voix de l’astrologue accompagne l’image tourmentĂ©e du film, sans que l’on sache bien quel statut accorder Ă ce texte obscur, aussi Ă©laborĂ© qu’inaccessible.
D’ailleurs l’anecdote biographique n’est pas exempte d’une certaine dimension mystique. La convergence des paysages entourant Sedona avec les peintures antĂ©rieures de Max Ernst est troublante : on retrouve, dans les Ă©lĂ©vations de pierre rouge arizonienne, la mĂŞme analogie entre les formes minĂ©rales, animales et vĂ©gĂ©tales que dans les tableaux que Max Ernst peignait Ă la ville. Est-il permis de penser que, sans les avoir jamais vus, le peintre ait dĂ©jĂ eu la connaissance de ces paysages ? En ce sens, le dĂ©doublement opĂ©rĂ© par Maxime Rossi rĂ©pond de façon sensible Ă la question posĂ©e par Max Ernst dans le film documentaire que lui consacre Peter Schamoni : comment rencontre-t-on un jour quelque chose qu’on connaissait dĂ©jĂ ?
En prenant le temps de s’attarder sur les paysages qu’il traverse en quĂŞte des traces de Max Ernst, le film de Maxime Rossi reste dans une forme d’inaboutissement. Il semble n’être constituĂ© que de sa propre recherche ; une dĂ©rive physique et artistique qui laisse vagabonder l’esprit jusqu’aux questions les plus romanesques mais aussi les plus fondamentales – celle du refuge et de la fuite hors du monde ; celle du destin individuel et de la rencontre amoureuse ; celle de la peur de la mort, enfin, qui traverse Ă la fois l’exil de Ernst, la dĂ©marche de l’astrologue et la quĂŞte de Maxime Rossi.
Dans la galerie, le reste de l’exposition prolonge le film avec une sĂ©rie de sculptures sans s’interdire quelques digressions et hasards. Rencontre heureuse, lĂ aussi, entre Maxime Rossi et la propriĂ©taire d’une petite tortue en bronze de Max Ernst, que le jeune artiste rĂ©plique avec de la glycĂ©rine translucide et qu’il transforme en tĂ©lĂ©phone. Un autre tĂ©lĂ©phone en plastique transparent relie potentiellement la galerie Ă une conteuse professionnelle du nom de « Mimi Contesse » : de temps Ă autre, elle appelle, raconte, puis raccroche. Sur un bar en mĂ©tal dessinĂ© par l’architecte Christian de Portzamparc, et qui divise l’espace de la galerie dans la longueur, une collection de bijoux fantasques – collier de montres en plastiques, pince Ă linge montĂ©e en boucle d’oreille et autres babioles colorĂ©es – semblent constituer une version cheap et contemporaine de l’objet surrĂ©aliste. Mais c’est surtout le travail sur les deux couleurs du film – le rouge et le bleu – et leurs superpositions qui lie l’ensemble de l’exposition, des lampes de chantier pendantes Ă l’affiche du film en sĂ©rigraphie, jusqu’aux poufs sĂ©rigraphiĂ©s sur lesquels on s’installe pour le regarder. Au mur, une plaque d’impression de Claude Viallat, reliquat conservĂ© prĂ©cieusement par le sĂ©rigraphe, emmène l’ensemble du projet de Maxime Rossi vers d’autres figures de l’histoire de l’art, contredisant l’idĂ©e d’hommage avec plaisir et libertĂ©.