En amont, la note d’intention, la lettre de créance, celle de doléance ou le manifeste ont leur place en face du bon de commande, du brief, de l’appel à participation, du contrat. Qu’il s’agisse d’art ou de design, le texte prend sa part dans les processus de création et d’exposition. Sur l’œuvre, certains signent, d’autres créditent, d’autres encore, plus maladroits, apposent un « contact : » en guise de sceau. Pour le public, tout commence avec un titre de l’œuvre ou d’exposition, sur un carton d’invitation adressé par mailing ou sous affranchissement direct. La place de l’écrit dans l’espace d’exposition est elle aussi sujette à question. La distance du cartel à l’œuvre, sa présence ou sa disparition dans le champ de vision, sa transformation en document de salle, en poster générique placardé en début de visite.
Le dispositif déterminé, le texte intervient sur les limites temporelles, géographiques et conceptuelles du projet. Deux typologies s’opposent et se complètent. Le texte critique cherche et abonde en profondeur et en complexité, situe et référencie le travail dans le corpus de pensées de son auteur. Étaie un argumentaire sur la structure à l’œuvre. Par son commentaire il intervient comme garant de la valeur du projet qu’il spécifie et spécialise pour mieux le cerner. À l’inverse, le communiqué de presse s’attache à polir et étendre la surface, s’intéresse au reflet davantage qu’au miroir. Il propage l’exception de l’œuvre vers le flux général du média. En cela, il vient moins après l’œuvre qu’avant l’article, cherche peu à être lu, voire compris, plutôt à déclencher son lecteur en écrivant. Il se déclare sans ambition et son sujet avec lui.
L’économie de l’art, celle aussi de la presse, les nouvelles typologies des médias modifient cette mécanique de la lettre et de l’esprit. De plus en plus le critique cède la place au théoricien, l’école d’art remplace la revue d’art dans la production de discours et de pensées dont les réseaux sociaux assurent la diffusion ou au moins l’écho. Beaucoup écrivent mais peu publient. Dans ce renversement des logiques, l’exposition cesse de se définir par son rapport à l’artiste ou commissaire comme l’objet annoncé par un carton d’invitation et circonscrit dans un communiqué de presse.
« Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 » résout cette ambivalence et répond aux critères de définition de l’exposition par le texte : « est exposition tout ce qui est annoncé comme tel par une invitation et un communiqué de presse, est une exposition tout ce qui est reconnu comme tel par le regard et les mots du critique ». « Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 » est une exposition encapsulée dans l’exposition « Taylor, Matthieu et Ricardo ». Ce travail en strates n’y change rien. Pas plus que l’impossibilité d’arrêter les statuts et les rôles de Syndicat et de Matthieu Laurette. « Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 » est une exposition parce que annoncée par un texte d’Emily King, écrit critique composé en Minion pour constituer le communiqué de presse1 de l’exposition « Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 ». « Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 » est une exposition puisqu’elle possède un titre d’exposition : « Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 » qui lui-même inclut la présentation de MATTHIEU par Syndicat et Matthieu et Laurette. En revanche, rien n’est écrit sur MATTHIEU qui n’est qu’une partie constituante de l’exposition « Taylor, Matthieu et Ricardo ».
« Syndicat et Matthieu Laurette présentent MATTHIEU: Une rétrospective dérivée, 1993-2015 » aurait pu prétendre au statut de catalogue, puisque l’œuvre de Matthieu Laurette y est reproduite, imprimée sur une série d’objets personnalisables en ligne. Pour autant, il s’agit bien de mise en espace de l’œuvre d’un artiste dont rien ne dit que les projets doivent/devraient nécessairement s’incarner « en eux-mêmes » sous une forme finie et matérialisée. Il s’agit tout aussi bien de l’intervention de graphistes dans l’espace d’exposition, donc de création. Il s’agit encore de l’activation d’un secteur économique où différents acteurs combinent les outils de la vente en ligne aux possibilités de l’impression numérique sur différents matériaux.
« Taylor, Matthieu et Ricardo » est une exposition parce qu’introduite dans l’espace par une affiche recto / verso, annonce / information signée Spassky Fischer. Syndicat – François Havegeer et Sacha Léopold, y présente le produit de ses recherches menées dans le cadre de bourses de recherches ou d’aide à la création allouées l’une par le CNAP et l’autre par la FNAGP. Contenue dans les modules Taylor et Ricardo, cette recherche approche les contextes industriels d’impression et de production de formes dont le fonctionnement n’intègre pas ordinairement la présence des graphistes : nouvelles technologies, cultures d’ingénieurs, modèles économiques refondés ou déficients expliquent cette mise à l’écart. Plus qu’un éloignement, celle-ci place Syndicat à une distance critique. Compte-tenu de la nature « recherche » de ce travail, les pièces qui résultent de cette démarche ne peuvent et ne souhaitent prétendre ni au statut d’objets fonctionnels ni à celui d’œuvres. Ils sont, comme en typographie, un travail d’approche.