Talweg 06 rassemble 21 artistes et auteur·ices autour de la notion de « distance ». Par le biais de l’écriture poétique ou fictionnelle, de la photographie, du dessin, de la sculpture, de l’enquête, du protocole, du récit d’expérience, de la cartographie, chacun·e d’entre eux s’approprie cette notion et développe une proposition singulière. Ensemble, ils évoquent
une distance polysémique et plurielle.
Il est ainsi question de la dimension sociale de la distance, dans sa relation aux contraintes de la mobilité et du travail ; mais aussi de la représentation des distances, des façons de les mesurer, des perceptions sensorielles et émotionnelles qu’on peut en avoir.
Des livres et des revues sont empilés partout dans l’appartement, sur les tables, les meubles. La hauteur des piles augmente chaque jour, parfois sur le point de basculer. Beaucoup ont été lus, certains plus d’une fois, mais la plupart restent intacts ou partiellement feuilletés et n’ont pas encore trouvé leur place sur les étagères.
De son séjour passé ici ces dernières semaines, une revue s’est démarquée. Elle a été lue et relue, n’a pas encore été archivée et ne le sera probablement pas avant un certain temps.
Quel objet.
Qu’il s’agisse de sa couverture « feutrée », assourdie d’un bleu sombre et mat d’où émerge en clarté de fines rayures estompées, de sa reliure suisse ou de sa mise en page soignée, il y a longtemps qu’une revue française ne s’était pas approchée de l’élégance et de l’équilibre du dernier numéro de Talweg édité par Pétrole éditions.
J’oserai presque parler de coup de foudre.
La distance nous conduit également à penser les relations humaines, nos comportements vis-à -vis les uns des autres — les questions de transmissions, les histoires familiales. La distance désigne un espace intermédiaire entre deux points ; évocation du vertige des écarts entre l’infiniment près et l’infiniment loin, du territoire de notre chambre largement connu aux planètes les plus éloignées, d’une photo de famille cornée aux ossements d’une baleine ayant traversé les océans, de l’insularité des marins jusqu’au bras qu’on tend, tout en haut d’une montagne, pour mesurer les distances à l’échelle de son corps.
En tant qu’étranger vivant en France, je suis souvent attristĂ© par la malchance des lecteurs non français lorsque je vois l’étendue et la qualitĂ© des objets de design graphique contemporain qui restent Ă traduire. Talweg me brise presque le cœur quand je pense que seuls les lecteurs français y ont accès.
Il y a quelque chose de spécifiquement français dans la conception de cette publication malgré son format folio américain, quelque chose d’intrinsèquement contemporain tout en s’inscrivant dans une histoire, je n’ai jamais rien vu de tel que Talweg 06 auparavant. Des riches propositions visuelles côtoient des textes initialement destinés à être lus à haute voix, des images d’objets en plomb jouxtent des dessins au crayon graphite, des entretiens avoisinent des cartographies de différentes natures.
Il serait impossible de détailler ici toutes les contributions plastiques et écrites d’un ouvrage aussi abondant et complet, mais reste en mémoire l’apparition de « Les deux toiles » de Louise Druhle, tout comme la double page frappante de Vincent Chevillon intitulée « Un manque d’écoute ». Les photographies du projet « Espacement, notes de terrain » de Majorie Le Berre sont agencées avec une grande intelligence, tout comme les images de « Je n’écris plus pour moi seule » de Lise Dua. Les entretiens retranscrits dans « Vivre sur une île » d’Andrée Ospina et « Représentation céleste » d’Audrey Ohlmann sont tout simplement passionnants.
L’image qui ouvre l’édition, « On était tellement ailleurs » de Claude Horstmann, cède la place à l’édito, où est citée une lettre d’Allan Sekula au fondateur de Microsoft : « Cher Bill Gates, L’autre jour, je suis passé à la nage devant votre maison de rêve, mais je ne me suis pas arrêté pour frapper à la porte. Pour être honnête, j’ai eu un peu peur de vos détecteurs sous-marins. J’aurais aimé jeter un oeil au tableau de Winslow Homer, Lost on the Grand Banks. C’est une magnifique peinture mais laissez-moi vous dire, en tant qu’ami et fervent citoyen, qu’à 30 000 000 $, vous l’avez payé trop cher. »
Je m’arrête là pour ne pas gâcher la suite.
Talweg 06, La distance est un laboratoire de recherche sous forme éditoriale résultant d’une collaboration entre Nina Ferrer-Gleize, Thomas Leblond et Audrey Ohlmann, accompagnés pour ce numéro d’Andrée Ospina et de Jean-François Barbier. Une série de découvertes et de révélations denses et pourtant, grâce à un travail habile de graphisme et de mise en page, on ne se sent jamais submergé par cette densité à la lecture. La notion de la distance est ici synonyme de celle du temps, et il en faut pour se plonger dans une collection de textes et d’images aussi enrichissante.
« Mais quel ton adopter pour dire, aujourd’hui, ce que nous pensons et interrogeons ? Plus encore, comment agir, pour donner le micro à ce(ux) que nous observons, lisons et écoutons ? »
Si il n’y a jamais eu une réponse évidente à ces questions essentielles, elles s’incarnent sous la forme de Talweg 06. Je suis très impatient de voir ce que cette jeune et prometteuse maison d’édition va mettre au monde par la suite.
Talweg 06, La distance, est publié par Pétrole éditions, et distribué par Paon diffusion.
Pétrole éditions prépare actuellement un ouvrage monographique Lisières de Vincent Chevillon qui paraîtra début 2022. Pour en apprendre davantage sur le projet le lien de la campagne de financement qui vient de s’achever se trouve ici.
Talweg 06 brings together 21 artists and authors around the notion of « distance ». Through poetic or fictional writing, photography, drawing, sculpture, investigation, protocol, the story of experience, cartography, each of them appropriates this notion and develops a singular proposal. Together, they evoke a notion of distance that is both polysemic and plural.
It is thus a question of the social dimension of distance, in its relation to the constraints of mobility and work; but also of the representation of distances, of the ways of measuring them, of the sensorial and emotional perceptions that one can have of them.
Piles of books everywhere, all over the apartment, on tables, on furniture, growing in height daily. Occasionally to the point of toppling over. Some have been read, some more than once, but most of them remain unread, or only partially leafed through, not yet finding a home on the shelves.
But one has stood out over the weeks that it has lived here, it has been read and re-read but it hasn’t been archived just yet, and probably won’t be for a while.
And It is beautiful, really beautiful.
From it’s layered navy blue pin-striped velvet-like cover and Swiss binding to its carefully tended pages, It has been quite some time since a French revue has come anywhere close to the elegance and poise displayed by the latest issue of Pétrole éditions’ periodical Talweg.
I could almost say that I am smitten.
Distance also leads us to consider human relationships, our behavior towards one another – questions of transmission, family histories. Distance designates an intermediary space between two points; an evocation of the vertigo of the gaps between the infinitely near and the infinitely far, stretching from the territory of our largely familiar rooms to the most distant planets, from a rectangular family photo to the bones of a whale having crossed the oceans, from the insular world of sailors to the arm that one extends, on top of a mountain, so as to measure distances on the scale of one’s body.
As a foreigner living in France I am often frustrated by how unfortunate non-French readers are when I see the breadth and quality of contemporary graphic design objects. Talweg almost breaks my heart when I think that only French readers have access to it. Indeed, it may be strange to say that there is something specifically French about the design of this publication with its American foolscap folio format, something inherently contemporary which nevertheless inscribes itself within a history of design and visual art research, but I haven’t seen anything else quite like Talweg 06 before. Sketches and photographs rub shoulders with texts that were originally intended to be read aloud, images of lead objects sit alongside graphite drawings, interviews settle easily with various kinds and forms of maps.
It would be impossible to detail all of the visual and written contributions in such a full and rich object, yet both entries of Louise Druhle’s exploration “The Two Webs” stick in one’s mind, as does the startling double page spread “A Lack of Hearing” by Vincent Chevillon. Majorie Le Berre’s photographs from the “Espacement, notes de terrain” project are presented with great intelligence as are the images in Lise Dua’s “Je n’écris plus pour moi seule”. The interviews transcribed in “Vivre sur une île” by Andrée Ospina and Audrey Ohlmann’s “Représentation céleste” are simply fascinating.
The image that opens up the publication, Claude Horstmann’s “On Ă©tait tellement ailleurs” cedes its place to the editorial quoting Allan Sekula’s letter to the founder of Microsoft: “Dear Bill Gates, I swam past your dream house the other day, but didn’t stop to knock. Frankly your underwater sensors had me worried. I would have liked to take a look at Winslow Homer’s Lost on the Grand Banks. It’s a great painting, but, speaking as a friend and fellow citizen, at $30 million you paid too much.”
I won’t spoil the rest of it.
Talweg 06, La distance is a research laboratory in an editorial form resulting from a collaboration between Nina Ferrer-Gleize, Thomas Leblond and Audrey Ohlmann, accompanied for this issue by Andrée Ospina and Jean-François Barbier. A series of discoveries and revelations that are dense and yet, thanks to the deft work of graphic design and page layout, one never feels rushed or overwhelmed when reading. The question of distance here is synonym with the question of time, and time is required to immerse oneself in such a rewarding collection of text and images.
But what tone should one adopt to speak about, today, what is being considered and questioned? Even more, how to act, to pass the microphone to that and those being observed, read and listened to?
Well, if ever there was an obvious answer to these essential questions it comes in the form of Talweg 06. I am incredibly excited to see what this young and promising publishing house will put into the world next.
Talweg 06, La distance, is published by PĂ©trole Ă©ditions, and distributed by https://paon-diffusion.com/.
Pétrole éditions are currently preparing the publication of Lisières by Vincent Chevillon that will appear at the beginning of 2022. More details on the project can be found here.