« Tout, au monde, existe pour aboutir à un livre ».
À la fin du XIXe siècle, Stéphane Mallarmé a rêvé d’un Livre avec un grand L, d’un livre absolu qui soit rien de moins que le reflet objectif du monde, mais aussi d’un livre moderne aussi opposé que possible à la statique autoritaire et patrimoniale de l’académisme littéraire et bibliophile.
Toujours Ă la recherche d’une forme qui Ă©chappe Ă un contenu spĂ©cifique et du coup embrasse l’infinitĂ© des potentialitĂ©s de sens, il a imaginĂ© un protocole qui questionne Ă la fois la figure de l’auteur et celle de l’asservissement de la partie Ă la totalitĂ© : une expĂ©rience aux limites de la littĂ©rature selon le mot de Phillipe Sollers.
Il a fait confiance à logique distante et objective du calcul mathématique pour définir le nombre de volumes, les dimensions de chaque volume par rapport aux dimensions de leur ensemble, empilés ou alignés, vus de face comme de profil… ; le nombre de pages de chacun de sorte à ce qu’il soit identique pour tous ; le nombre de signes par page, les pleins devant s’équilibrer avec les vides.
Il a préféré à la forme définitive des hiérarchies du texte illustré la mise en place de réseaux d’images et la mobilité orchestrée des feuillets ou des parties du livre évoluant « pareillement au mouvement des planètes dans l’espace ».
Le Livre accédait à l’animation des êtres vivants et devenait même théâtre. Mallarmé imaginait, contre la distribution commerciale de la librairie, des « séances » de représentations théâtrales du Livre dont il aurait été lui-même l’« opérateur » ; séances réglées par un protocole précis définissant systématiquement nombre, durée et rituel des séances, nombre et disposition des spectateurs…
Ce n’est pas le Livre qu’a découvert François Havegeer (illustrations), il n’en existe que des brouillons épars et lacunaires, mais une malfaçon accidentelle d’un ouvrage des très belles éditions Allia sous la houlette de Patrick Lébédeff et Gérard Berréby, qui peut donner une idée des effets de sens de l’exercice de la plasticité ouverte du livre…