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Étienne Hervy, conversation

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Superscript², Formulaire du concours étudiant, Le graphisme qu’est-ce que c’est ? Chaumont 2010

Le 21e Festival de l’Affiche et du Graphisme de Chaumont vient de lancer le sujet de son traditionnel concours Ă©tudiants (le formulaire d’inscription est tĂ©lĂ©chargeable lĂ ). Une 21e qui se doit de faire date, après une prĂ©cĂ©dente Ă©dition plutĂ´t rĂ©trospective et attendue, et les rumeurs tenaces de l’imminence du passage de tĂ©moin de l’ancienne Ă©quipe, avec ses personnalitĂ©s Ă©minentes et historiques du graphisme d’auteur et de l’utilitĂ© publique Ă  la française. Une 21e qui sera effectivement dynamisĂ©e par les promesses de la crĂ©ation inĂ©dite d’un nouveau Centre International du Graphisme et par la nomination d’un nouveau prĂ©sident.
Pour présenter les nouvelles dynamiques de ce qui demeure, après les événements du Lux et aux côtés des rencontres basse-définition des Beaux Arts de Valence, du K3 de Lorient ou des saisons graphiques du Havre, le festival français du graphisme, quoi de mieux que de questionner son nouveau président, Étienne Hervy, qui est déjà le rédacteur en chef d’Étapes :, le magazine français du graphisme et de la culture visuelle ?
 

— Et bien, pour commencer un peu directement, oĂą en est-on de l’Ă©quipe du festival de Chaumont ? Quelles sont les nouvelles tĂŞtes et les nouvelles fonctions ?

Étienne Hervy
— Pour ce qui concerne l’Ă©quipe, je vais te dĂ©cevoir : une seule nouvelle tĂŞte : la mienne, chargĂ©e de diriger le festival et le pĂ´le graphisme ainsi que de piloter la prĂ©figuration du CIG (Centre International du Graphisme). Bien entendu, la subtilitĂ© est de mettre toutes ces activitĂ©s en synergie. Cela ne va pas durer : nous allons complĂ©ter l’Ă©quipe existante par un chargĂ© d’exposition et une personne Ă  mĂŞme de valoriser nos actions et de mĂ©nager des Ă©changes avec les institutions françaises et Ă©trangères. Ensuite, il y a un passage de relais en ce qui concerne la dĂ©lĂ©gation gĂ©nĂ©rale et la direction artistique du festival, mais sur place Ă  Chaumont, l’Ă©quipe de l’association et celle du pĂ´le graphisme, les personnes en charge de la conservation et de l’indexation des collections restent en poste. Pour le festival, nous allons dès le mois de mars arrĂŞter le choix du directeur artistique invitĂ© pour l’Ă©dition 2011 et continueront sur ce système d’invitation pour les annĂ©es Ă  venir. Bien entendu, on s’attache ici Ă  renouveler les rĂ©fĂ©rences de la programmation.

— Ce qui veut dire que la direction artistique est toujours assurée par le trio grapusien historique : Pierre Bernard, Alex Jordan, Vincent Perrottet, contre les rumeurs qui circulaient lors du dernier festival ?

Étienne Hervy
— Pour cette annĂ©e, c’est moi qui assure la direction artistique, afin d’adapter la programmation du festival au calendrier imparti par la date de mon arrivĂ©e Ă  Chaumont et de mettre en place un fonctionnement transmissible au prochain directeur artistique.

— Justement, comment situes-tu ce nouvel Ă©lan du festival par rapport Ă  cet hĂ©ritage du graphisme français sous influence grapusienne qui caractĂ©risait, pour beaucoup, au moins l’image de l’évĂ©nement jusque alors ?

Étienne Hervy
— D’abord, toi, que penses-tu de ça ? Je suis aussi lĂ  pour entendre les opinions argumentĂ©es sur ce que peut ĂŞtre un tel festival et sur la monstration du graphisme aujourd’hui. Pour rĂ©pondre Ă  ta question, je crois que le plus grave est un problème d’image. Mais les graphistes sont bien placĂ©s pour savoir que les problèmes d’images sont des problèmes concrets. GTF, le Werkplaats Typografie ou Toffe, tout ça n’a rien de Grapusien. Il paraĂ®t qu’on aime bien les Ă©tiquettes dans ce pays. J’imagine qu’il s’en trouvera pour dire que Chaumont fait dĂ©sormais du Ă©tapes:.
Aujourd’hui nous devons mener un savant Ă©quilibre de continuation/Ă©volution d’une manifestation dans sa 21ème annĂ©e. Il faut prendre en compte son ADN en mĂŞme temps que la rĂ©alitĂ© contemporaine du graphisme et aussi la perspective du CIG. D’oĂą le thème du concours Ă©tudiant : Le Graphisme, qu’est-ce que c’est ?. S’il y a une question Ă  laquelle un Ă©tudiant en graphisme doit se confronter c’est celle lĂ  et la gĂ©nĂ©ration actuelle d’Ă©tudiant Ă  de la chance : le graphisme français est passĂ© d’un questionnement politique Ă  un questionnement critique. Les blogs, les revues, les crĂ©ations elles-mĂŞmes en attestent et Chaumont festival et le CIG ne sont pas en reste. Il faut questionner, reposer Ă  nouveau les questions dĂ©jĂ  posĂ©es pour savoir si les rĂ©ponses ont changĂ©, questionner de nouveaux fronts et questionner diffĂ©remment.

— Bien sûr que le festival de Chaumont s’est ouvert à la création graphique exigeante dans sa pluralité. Reste qu’au delà des questions d’image, son équipe était concrètement composée d’influents anciens grapusiens qui ont logiquement orienté ses options esthétiques. Ce qui, du reste, est tout à fait normal au regard de l’importance historique de ce groupe qui a indéniablement revigoré le graphisme français face au style international sclérosé de la toute fin des années 60, et dont on peut trouver une influence chez nombre de graphistes récents voire émergents, et par exemple chez Toffe… Ce que j’ai appelé l’école de Paris ou le penchant organique qui dépasse à mon avis pas mal la question du graphisme politique.
Mais pour revenir au concours, je vois cette thématique à la fois comme une proposition un peu généralisante, style « aujourd’hui, graphisme libre ! », comme une tentative de questionner la dimension auto-réflexive du graphisme qui est aussi sa part la moins servile, et enfin, comme une façon de questionner les fondamentaux, comme on dit en sports collectifs, pour repartir sur de nouvelles bases.
Pour revenir à mon rôle de composition d’interviewer / inspecteur Derrick : Comment envisages-tu cette nouvelle ère du festival et son articulation à cette structure si nécessaire et attendue du Centre International du Graphisme ?

Étienne Hervy
— Je ne te donne pas tort sur le sujet du concours : par dĂ©finition, un tel sujet est tout ce qu’on y voit, bon ou mauvais. Pour ma part, en le donnant comme thème, je donne ma rĂ©ponse : c’est une discipline de crĂ©ation, capable de porter un sujet (en choisissant ou non de le subvertir), une discipline Ă  mĂŞme d’ĂŞtre prĂ©sentĂ©e en tant que telle, c’est-Ă -dire exposĂ©e, en mĂŞme temps qu’elle manque de reconnaissance et qu’une partie du public Ă  bien besoin d’une rĂ©ponse Ă  cette question (si nous parvenons Ă  initier chez eux cette interrogation, nous aurons jouĂ© notre rĂ´le). Enfin, le graphisme est une discipline qui, pour ĂŞtre pratiquĂ©e avec succès, doit l’ĂŞtre par des personnes qui auront trouvĂ© et portĂ© leur propre rĂ©ponse Ă  cette question. Elle n’est certainement pas anodine : sans cela, elle ne serait enseignĂ©e dans des Ă©coles d’art.
La nouvelle ère du festival commence par un planning aussi serrĂ© que le plus noir des cafĂ©s italiens. L’articulation avec un lieu va consister en une salutaire rĂ©partition des tâches. Le festival n’aura plus Ă  tout faire, tout couvrir et prĂ©senter des choses produites dans le seul recul de sa prĂ©paration. Il ne sera plus le moment obligĂ© pour une exposition d’ampleur. Il pourra ĂŞtre le lieu de l’expĂ©rience, celui de la fĂŞte aussi, et s’appuyer sur la profondeur permise par le lieu et la mise en synergie des Ă©quipes du festival et du pĂ´le graphisme.
Pour cette annĂ©e, des exemples concrets se dĂ©gagent : en parallèle du concours international, une sĂ©lection de 10 Ă  15 affiches françaises va ĂŞtre dĂ©gagĂ©e par un jury indĂ©pendant. Ce qui permettra Ă  une affiche française d’être retenue aussi bien dans la sĂ©lection française que dans la sĂ©lection internationale. L’ambition avec cette sĂ©lection est la mĂŞme, appliquĂ©e Ă  la communication, que celle d’un concours des plus beaux livres : permettre un travail sur la qualitĂ© et l’Ă©volution de la commande. Pendant l’annĂ©e qui va suivre, cette sĂ©lection sera travaillĂ©e par le pĂ´le graphisme en tant qu’exposition itinĂ©rante (oĂą les affiches seront accompagnĂ©e des autres pièces rĂ©alisĂ©es pour cette commande). Nous allons documenter ces productions par des entretiens avec les graphistes et leurs clients et tout cela devra, in fine, constituer un laboratoire qui fasse Ă©voluer le concours international d’un concours d’affiche vers un concours plus en phase avec les Ă©tats contemporains du graphisme de communication.

— Sur la question toujours complexe de l’exposition du graphisme, on peut parfois entendre, venue du milieu de l’art, des reproches centrés sur le fait de trop singer l’exposition artistique. De toujours se focaliser sur les langages, les styles, les auteurs, les mouvements et pas assez sur les domaines ou les commandes, soit la spécificité consentie de cet art appliqué. On pourrait par exemple, selon cette approche, exposer la signalétique muséale étasunienne, le packaging japonais, que sais-je, une étude de cas type concours comme vous le faites du reste dans étapes. Que penses-tu de ce type de posture ?

Étienne Hervy
— Que nous essayons d’accueillir cette annĂ©e une exposition dĂ©jĂ  produite sur une très belle commande et travaillons Ă  la production pour 2011 d’une exposition du mĂŞme ordre. Nous aurons aussi une exposition (sur panneaux) d’Ă©tudes de cas de crĂ©ations graphiques fluides/dynamique. Avec cette dernière, nous sommes dans un cas d’Ă©cole : les panneaux ne sont Ă©videmment pas la solution d’exposition idĂ©ale en mĂŞme temps que ces projets se prĂŞtent difficilement aux solutions classiques d’exposition. Le CIG devra ĂŞtre Ă  mĂŞme de rĂ©pondre Ă  cette question. D’y rĂ©pondre par le graphisme et la scĂ©nographie, mais aussi par des point de vue curatoriaux renseignĂ©s. Oui, le graphisme doit connaĂ®tre, comprendre et assumer mieux ses spĂ©cificitĂ©s, mais ça ne doit pas l’empĂŞcher de s’assumer comme discipline de crĂ©ation enseignĂ©e dans les Ă©coles d’art (je l’ai dĂ©jĂ  placĂ©e celle-lĂ  non ?). Maintenant, le reproche des plasticiens me fait sourire, d’abord parce que quoi qu’on en dise, les expositions de graphistes en centre d’art sont plus convaincantes que les interventions de plasticiens au centre des carrefours giratoires, ensuite parce que l’histoire de l’art nous apprend que les musĂ©es sont remplis de pièces d’abord conçues pour ĂŞtre fonctionnelles et officielles avant d’être exposĂ©es pour elles-mĂŞmes.

— Pour revenir au Centre et aux comparaisons culturelles toujours sujettes à tensions et à implicites hiérarchiques, dans le domaine des arts plastiques, les Centres d’Art sont plutôt des lieux de création et d’expérimentation, pas forcément situés dans les capitales régionales, laissant la part plus institutionnelle de monstration et de démonstration aux grands musées nationaux. Évidemment, l’infrastructure naissante du graphisme est dérisoire, comparée à cette machinerie, mais comment le CIG va-t-il se positionner vis-à-vis de ce type de fonctionnement ? D’autre part comment le Centre va-t-il s’articuler au Pôle du graphisme qui existe déjà sous la direction de Christelle Kirschtetter ?

Étienne Hervy
— Tu rĂ©ponds toi-mĂŞme Ă  la question : nous serons un lieu de crĂ©ation et d’expĂ©rimentation, une base arrière Ă  mĂŞme d’organiser des projets de fonds dont la visibilitĂ© passera par de plus grandes villes en mĂŞme temps que la situation du graphisme en France, les 21 ans de graphisme Ă  Chaumont, amènent au constat que nous devrons assumer le rĂ´le d’institution du graphisme. En phase de prĂ©figuration puis de fonctionnement, le CIG devra poursuivre l’action locale et rĂ©gionale du pĂ´le graphisme (nous savons l’importance du contexte sur le graphisme et rĂ©ciproquement) et trouver les moyens de prolonger dans les autres rĂ©gions ces actions. Cela concerne un premier niveau avec des partenaires comme la rĂ©gion, le dĂ©partement, la DRAC et l’éducation nationale. Un second niveau existe bien Ă©videmment sur les plans nationaux et internationaux avec des projets spĂ©cifiques (crĂ©ation, exposition, recherche), mais aussi par la diffusion et la mise en visibilitĂ© du rĂ©sultat des expĂ©riences intiĂ©es au niveau rĂ©gional. Un exemple simple : la rĂ©sidence de Lieux Communs au LycĂ©e Professionnel du Haut du Val : un financement complĂ©mentaire Ă  permis la production d’un ouvrage restituant le travail des lycĂ©ens. Il faudra pouvoir faire plus : documenter ce travail de façon Ă  ce que d’autres rĂ©sidences de graphistes soient initiĂ©es dans d’autres Ă©tablissements comparables ailleurs en France.

Pour conclure, je m’autorise un démenti sur l’introduction de notre conversation, je ne suis plus le rédacteur en chef d’étapes:. Je quitte le magazine heureux de mon bilan et de l’état dans lequel le trouvera la personne qui va me succéder. Il est désormais possible d’y rencontrer, en plus des textes signés par les incontournables français et étrangers, des textes signés par des graphistes et mis en page par eux. À qui le tour après Pascal Béjean et Guillaume Grall ? Mais là aussi, il va falloir réinventer. Au suivant.

Beauregard