J’aime que les anglais appellent spin, le pli, à la fois pliure qui marque le lieu « inframince » de la séparation des pages et, symétriquement reliure, colonne vertébrale du livre. Justement, Clara Sfarti propose, en écho aux architectures violentes et oppressantes de Daniel Liberskind pour le fameux Jewish Museum de Berlin, qui retrace, rappelons-le, la lourde histoire du peuple juif en Allemagne, une intrigante édition : toute en ruptures, en effets de hors-champ, en basculements, en tensions entre les intérieurs et les extérieurs des matières du livre, en glissements structurels qui se joue justement de ce centre névralgique de la pliure : de cette âme, comme on le dit au sujet d’un violon.
Je laisse maintenant la parole Ă Clara :
« j’ai choisi de faire une Ă©dition sur cette architecture car j’aime la force et la tension qui se nouent entre le poids, la monumentalitĂ©, tant morale que physique, du bâtiment extĂ©rieur et le silence, le vide glacial de l’intĂ©rieur (d’autant qu’il est restĂ© un an visitĂ© vide, sans aucune exposition). C’est cette ambiguĂŻtĂ© que j’ai essayĂ© de retranscrire.
J’ai choisi l’Interstate pour le titrage (modifiĂ© sur les points de i), car le caractère est taillĂ© en oblique sur les fĂ»ts (j’ai appris bien plus tard que c’Ă©tait le caractère utilisĂ© pour la communication du musĂ©e sur place…) et le Weidemann pour le texte, Ă cause de ses empattements triangulaires. Ces dĂ©tails font rĂ©fĂ©rence aux
coupures, aux entailles présentes sur les façades et aux poutres obliques dans les couloirs.
La mise en page se caractérise par des coupures nettes et perturbantes dans le texte : lorsqu’une colonne est coupée, celle qui suit la reprend dans son intégrité, de sorte à pouvoir tout de même lire le contenu. Idem pour les titres : un texte coupé est toujours présenté dans son intégralité à la suite. Les images sont coupées sur certaines pages, mais la plupart du temps, elles ne sont coupées que visuellement par la pliure, elles sont en réalité entières sur la double page imprimée, et coupées par l’effet d’encartage. Les titres de chapitres reprennent le même système de rognage par la pliure.
Les images sont obliques à l’instar les murs intérieurs penchés. L’aération des pages, avec ses grands blancs, joue la métaphore du froid. Le jeu de transparence du papier fait s’accumuler les éléments d’une page à l’autre, atténuant un peu le vide oppressant des compositions. »