Pourquoi parle-t-on de graphiste plutôt que de scribe ? Pourquoi avoir préféré l’origine grecque, graphein, à celle latine, scriptor ? Pourquoi inscrire plutôt qu’écrire ? Cela aurait-il à voir avec la question de la trace ? De cet outil tracté sur un support et qui laisse visiblement un effet de cet effort ? Une entaille, une incision… Cela aurait il avoir à faire avec ces amours contrariés et coupables qu’entretiennent, dans nos usages et nos représentations, les mots et les images, le dicible et le visible ?
Soner Ă–n Ă©voque les ornements calligraphiĂ©s des plateaux de cuivre de l’intĂ©rieur familial de son enfance. Une calligraphie arabe qui le fascine et qu’il ne lit pas comme souvenir de son premier rapport Ă l’Ă©criture. Un rapport Ă l’écrit sensible Ă la force de la marque avant de pouvoir la considĂ©rer comme signe. Une sensibilitĂ© Ă la tension visible du potentiel de sens et de vouloir dire.
Roland Barthes était fasciné par les calligraphies japonaises comme on peut l’être toujours de signes qu’on ne peut que voir et que l’on sait destinés à être lus. Où commence l’écriture, où commence la peinture ? Que sont ces pinceaux qui écrivent mais ne peignent pas se demande-t-il.
Maurice Blanchot en appela aussi à cette source non occidentale quand, passant au dessin, il eut le sentiment de se libérer enfin des mots et de retrouver, au travers du geste, cette scène primitive du signe idéographique par exemple chinois : cette enfance rêvée d’une écriture « non détachée de la chose ». Cette image de paradis ou la rupture n’existe pas. Où l’on parle aux animaux. Où l’on ne meurt ni ne copule. Copule, cette autre nom peut être amusant du verbe à l’origine du monde, en tous cas perçu.
Façon de rappeler que nos achèvements alphabétiques et orthographiques ont commencé ailleurs dans la magie des images.
J’ai toujours trouvé amusant que notre bon vieux A qui inaugure l’alphabet soit issu de la transformation d’un pictogramme de tête de vache. La vache, cet animal qui se nourrit et nous nourrit, qui s’abreuve et nous abreuve, qui rumine comme, dit-on le texte peut ou doit l’être. Belle métaphore magique du langage pour commencer une histoire de l’écriture.
Mais c’est là une réflexion de graphiste amateur de dessin de lettre. Tout le monde ne confère pas à la lettre le statut peut être envié d’unité atomique de l’écriture. D’aucuns préféreront plutôt le mot ou la phrase. Mais pas un Kurt schwitters ou un Alfred Jarry qui déclarent la lettre, unité distinctive graphique et sonore, comme base de l’expression écrite…
Illustration : Soner Ă–n, double issue de V4, The holster, 2007