Le papier marbré est un support traditionnel à l’ostentation naïve et touchante, riche de milles effets virtuoses, illusionnistes et ornementaux. Il imite à merveille les roches précieuses dont on sait qu’elles scintillent dans la vitrine magique du cabinet de curiosités et l’imaginaire métaphorique de l’alchimie. Il habille somptueusement les livres ostentatoires de la bibliophilie et les cadeaux de l’artisanat classique. Il renvoie à milles ailleurs rêvés, de la Vénétie au Japon.
Il est aussi un papier qui démontre, au delà de son aspect cosmique et fluctuant, sa facture et sa planéité. Un genre de papier auto réflexif qui s’affirme comme plan : le plan par excellence du marbre, tour de force de la surface de la roche aplanie et révélée dans la luxuriance presque vivante, veines et cellules, de son intériorité ; le plan de la feuille manipulée dans les trois dimensions de l’espace, en intersection avec la surface encrée d’un bain ou d’un liquide donnés.
Laurence Sterne a fait de cet effet un « emblème bigarré » de son œuvre1. Cette image fluctuante, sans signification à priori, artisanalement reproduite pour chacune des occurrences du troisième volume de Tristram Shandy, venait s’affirmer comme contrepoint de la transparence et du caractère immuable de l’impression au plomb du texte. Une façon d’affirmer l’ouverture fondamentale du texte à l’autorité du lecteur, une instabilité du texte, mais installée au cœur du livre : une indétermination du texte comme texte.
On observe chez les graphistes une soudaine affection pour ce support chatoyant, complexe et devenu populaire…
Illustrations :
- De haut en bas Emmet Byrne (production ou collection ? illustrations 1 Ă 3), Fanette Mellier (Casanova Forever 2010, illustrations 4 Ă 6), Louis LĂĽthi (The Self-Reflexive Page, 2010, illustration 7).
- Peter de Voogd, « Laurence Sterne, the marbled page and #&8250 the use of accidents #&8239, Word & Image 1, n°3, july-september, pp. 297-287, citĂ© par D. F. McKenzie, La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991, p. 61 [↩]