La première mouture du projet d’exposition Double mixte à la galerie Arko a vu BAT éditions, soit Camille Pageard, Jérôme Dupeyrat (historiens de l’art), Coline Sunier et Charles Mazé (graphistes) inviter Benoît-Marie Moriceau et leur goût partagé de l’archive…
À l’occasion de chacune de ses propositions, Benoît-Marie Moriceau réunit une collection des différentes occurrences historiques du type en quelque sorte réanimé ou poursuivi par sa pièce, inscrivant sa production dans la logique typologique d’une reproduction. Mais une reproduction typologique qui s’initierait dans l’espace déjà médiat de la fiction.
Electroshield, une sculpture modulaire constituée d’un entassement construit de sacs de sables recouvert d’une couche de protection dite électro-magnétique, qu’il présente à partir de 2008 (illustration 7), va ainsi se constituer dans la dissémination d’une série et d’une fiction. La pièce se construit en effet dans l’imaginaire d’une archéologie militaire et scientifique : un entassement sommaire de simples sacs de sable, un tumulus de première nécessité enduit d’une peinture monochrome capable de protéger des mystères des sciences presque immatérielles de l’atome et de l’électricité plus ou moins statique, qui de Michael Faraday à Albert Einstein, en passant par Nikola Tesla ou Alexander Chizhevsky, agitent la scène primitive de la modernité.
C’est-à -dire que cette déconstruction fictionnelle de la pesante présence sculpturale va se doubler de sa diffusion sérielle. D’abord parce que chacune des monstrations d’Electroshield va être l’occasion d’un changement d’agencement qui tirera partie de la structure modulaire de la pièce et de la configuration du lieu d’exposition. La pièce occultera ainsi d’abord massivement une vitrine, puis elle occupera ailleurs un pan de mur ou elle imposera simplement son volume monolithique…
Electroshield joue ensuite les vertiges de la liste parce que Benoît-Marie Moriceau constitue autour de cette pièce toute une collection des traces des occurrences historiques qu’elle semble rejouer en disjonctions et conjonctions : amoncellements défensifs d’urgence, structures de protection confortant les monuments et les immeubles de l’environnement urbain en temps de guerre, abris, tumulus, levées face à la crue, rempart contre tous les assauts et toutes les catastrophes…
Mais cette dernière stratégie de mise à distance de la présence, pourtant si imposante de l’œuvre, ne peut s’exprimer sans le relais du graphisme. Celui du studio Devalence, en 2010, dans le catalogue présentant la collection réunie par l’artiste autour de Psycho, son type de maison monochrome noire issue des contre-plongées fameuses de Hitchcock, plus récemment celle de BAT pour l’exposition Double mixte 1…
Selon la terminologie des auteurs, le « dispositif de visualisation » Electroshield projet/réplique (illustrations) n’est donc pas tout à fait une nouvelle actualisation de la série, mais plutôt un format intermédiaire entre installation, sous-verre de salon, dispositif muséal, vitrine de magasin et principe éditorial. Un arrangement scopique qui nous offre une sorte de panorama vertigineux sur la collection des monuments de défense passive qu’actualise, dans un genre de futur antérieur science fictionnel, Electroshield.
Electroshield projet/réplique consiste d’abord en une série de sept plaques de verre de quatre mètres carrés chacune, entreposées, comme en attente, sur un pupitre de vitrier, et sur la surface desquelles un ensemble de vignettes de reproductions photographiques photocopiées noir et blanc viennent s’agencer selon la trame rigoureuse d’une grille modulaire.
 Chacune des plaques joue en quelque sorte le rôle d’une strate périodique de l’archive réunie par Benoît-Marie autour des multiples états de ces entassements. Chaque plaque de verre présente les résultats des différents moments de la campagne de collecte assurée par Benoît-Marie avant la réalisation de la pièce. La dernière proposant les recherches menées avec BAT à l’occasion de cette récente exposition…
Grand amas réglé de verre, ce ready made vitrier entretient la distance questionnante de ces étranges objets esthétiquement indifférents de l’environnement quotidien. Du reste il se tient, comme en attente, isolé, dans un coin de la galerie. Mais Electroshield projet/réplique ne cache pas longtemps ses charmes miroitants et s’avère vite une machine rutilante : machine rhétorique, machine à mirer et machine à voyager dans le temps…
Electroshield projet/réplique est aussi un objet contextuel qui vient placer ses lames de verres rhétoriques dans le prolongement de la vitrine à laquelle se résume presque la galerie Arko…
 Un objet métaphorique et miraculeux, qui change le sable des sacs en verre, qui inverse, comme dans le miroir, la protection du dispositif d’urgence dans la fragilité manifeste et la dangerosité potentielle du matériau, qui relance le sens et les sens dans « l’abyme » des réverbérations…
Un dispositif optique, miroir et fenêtre sur tissant de multiples couches de sens réfléchissantes. Un index de vision indiquant la zone du champ visuel à considérer en fonction de sa valeur, valeur miroitante du bijou et du trésor, valeur historique de l’archive qui est toujours mémoire d’autorité.
Une machine fictionnelle et désirante qui, comme tout outil, nous rapproche des choses en même temps qu’il les installe dans cette distance toujours fuyante et construite de notre relation au réel, au visuel et à la mémoire : lien, interface et système de protection, cage de Faraday, Électroshield…