Il y a un rébus génial : il s’agit de dessiner deux demi-cercles sur une feuille de papier et de demander à son vis-à-vis quelle est la solution. L’ambiguïté est due au fait que ces demi-cercles sont en même temps deux lettres C. Or, les demi-cercles en italien se disent semicerchi mais « se mi cerchi » signifie « si tu me cherches ». La solution est donc « semicerchi, non C sono » (« ils sont des demi-cercles, non des C » qui peut être entendue aussi comme « se mi cerchi non ci sono », c’est-à-dire « si tu me cherches, je ne suis pas là ». Le fait qu’on reconnaisse des demi-cercles, c’est universel. Le fait qu’un Grec ou un Phénicien reconnaisse une lettre C, c’est culturel. Vous voyez comme deux mouvements interfèrent ; ce n’est donc pas vrai que tout est universel et analogique, c’est un mélange. Mais c’est exactement ce que Peirce appelle l’hypo-icône. De Raphaël aux bandes dessinées, ce sont des hypo-icônes, c’est-à-dire des éléments mêlés d’icônisme et de similitudes indicielles. À propos de l’universalité des images, il y a aussi l’histoire du Japonais qui va à Rome, qui entre dans une boutique d’objets religieux, il montre un crucifix et dit : « Combien ça coûte cet acrobate ? ».
Umberto Eco, « La Langue imparfaite des images », entretien avec Adeline Wrona et Frédéric Lambert publié dans L’Expérience des images, INA, 2011