Dans La parallaxe1, Slavoj Zizek propose une théorie du design s’appuyant sur les travaux du psychologue évolutionniste et cognitiviste américain Geoffrey Miller et notamment de son livre The Mating Mind: How sexual choice shaped the evolution of human nature2.
L’argument central de la thèse de Geoffrey Miller réside dans le fait que l’évolution ne dépend pas seulement de la question de la lutte pour la survie (avec ses corollaires de compétition pour l’accès aux ressources, d’adaptation au milieu, de stratégies de défense ou de collaboration, etc). Pour Miller le moteur de l’évolution se situe dans le procès de la concurrence sexuelle, c’est-à -dire, notamment dans les efforts consentis pour séduire l’éventuel partenaire. Et c’est là que la question du design vient sur le devant de la scène, car les qualités qui donnent l’avantage dans la compétition sexuelle sont des signes. Des messages de l’ordre de la communication visuelle que Miller appelle des « indicateurs de bonne forme physique ». Sera avantagé dans la compétition sexuelle, non celui qui possède de vrais avantages en quelque sorte en nature, mais celui qui paraît en avoir. Pour ainsi dire celui qui est bien designé visuellement.
Cet effort stratégique de stylique visuelle relève d’un « prodigieux gaspillage » à priori peu fonctionnel voire handicapant. Miller donne l’exemple des paons qui « seraient des animaux supérieurs s’ils n’avaient pas à dépenser autant d’énergie pour faire croître de grandes queues » mais aussi des hommes qui ont un cerveau « consommant énormément d’énergie et se répandant en comportements superflus comme la conversation, la musique et l’art ». Il aurait aussi du donner l’exemple des merveilleux oiseaux de paradis.
Ce handicap à priori se transforme finalement en avantage, en « langage de la séduction » comme le dit Zizek. Il poursuit : « Nous devrions par conséquent renverser la position standard selon laquelle la dimension esthétique (ou symbolique) est un supplément secondaire à la valeur d’usage du produit : c’est plutôt la valeur d’usage qui constitue le « profil secondaire » d’un objet inutile dont la production a demandé une grande quantité d’énergie pour servir d’indicateur de bonne forme. […] La présentation « esthétique » non fonctionnelle de l’objet est primordiale, et son éventuelle utilité est secondaire, c’est-à -dire qu’elle a le statut d’un produit dérivé, de quelque chose qui parasite la fonction essentielle ». Et Zizek de finir sur l’exemple du langage « indicateur de bonne forme mentale par excellence, avec sa manifestation excessive de rhétorique inutile ».