Mallarmé dit que la danseuse n’est pas une femme qui danse. Car ce n’est point une femme et elle ne danse pas. Cette remarque profonde n’est pas seulement profonde. Elle est vraie et je l’ai vue vérifiée. La plus libre, la plus souple, la plus voluptueuse des danses possibles m’apparut sur un écran où l’on montrait de grandes méduses. Ce n’était point des femmes et elles ne dansaient pas. Point des femmes mais des êtres d’une substance incomparable : translucide et sensible. Chair de verre follement irritable, dômes de soie flottante, couronnes hyalines, longues lanières vives toutes courues d’ondes rapides. Franges et fronces qu’elles plissent, déplissent cependant qu’elles se retournent, se déforment, s’envolent, aussi fluides que le fluide massif qui les presse, les épouse, les soutient de toutes parts, leur fait place à la moindre inflexion et les remplace dans leur forme. Là dans la plénitude incompressible de l’eau qui semble ne leur opposer aucune résistance, ces créatures disposent de l’idéal de la mobilité. Y détendent, y ramassent leurs rayonnage symétrie. Point de sol, point de solide pour ces danseuses absolues. Point de planches mais un milieu où l’on s’appuie par tous les points vers où l’on veut.
Paul Valéry, Philosophie de la danse, 1936