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Fanette Mellier, Astronomicum

L’astronomie pose le ciel comme le lieu d’une mĂ©canique implacable toute faite de mouvements en boucle interpolĂ©s en système. Des astres, des Ă©toiles, des planètes, des nĂ©buleuses : des phĂ©nomènes discrètement lumineux, mais surtout des dĂ©placements qui se referment sur eux-mĂŞme : des rotations, des cycles, des cercles, des spirales, des ellipses, des disques. Dans le planetarium de la voĂ»te cĂ©leste en forme d’horloge cosmique, tout bouge de manière plus ou moins perceptible, tout se dĂ©cale de façon plus ou moins rĂ©gulière, tout est obscurĂ©ment clair, mais tout revient finalement en un mĂŞme point dans une logique de de phase, de rĂ©volution, de pĂ©riode.

Fanette Mellier, Astronomicum

Fanette Mellier, Astronomicum

Fanette Mellier, Astronomicum

Fanette Mellier, Astronomicum

À l’issue de sa résidence romaine à la Villa Médicis, Fanette Mellier nous revient avec un petit livre sombre qui propose de nous plonger la tête dans le tournis des mouvements célestes et de l’histoire longue de notre petite discipline des choses imprimées.

Un petit livre qui est d’abord une réédition, le fac-similé échelle 1 d’un opuscule paru en 1600, au tout début de ce XVIIe qui voit, selon Robin Kinross1 , l’avènement de la figure moderne et réflexive du typographe, distincte de l’atelier obscur de l’imprimeur, un concepteur qui se cristallise dans la figure de l’éditeur. Un petit ouvrage du reste imprimé par l’officine fondée par Christophe Plantin, premier imprimeur à l’échelle industrielle et français exilé aux Pays-bas. Un petit livre qu’on trouve aujourd’hui facilement dans l’espace public réticulaire de la toile via sa numérisation peut-être démocratique par Google.

Une rĂ©-Ă©dition qui s’affirme comme une traduction, une conversion : une rĂ©Ă©dition arrangĂ©e, infidèle, faite de gestes et d’écarts manifestes. Un fac-similĂ© qui vient imprimer le très petit corps de labeur en noir sur un bleu profond avec un contraste minimal qui ne garantit que très incertainement la lecture. Une re-publication qui ne vient pas corriger la perturbation des accidents de numĂ©risation de Google. Une rĂ©-impression qui veut privilĂ©gier, dans un premier temps de la perception, le contraste de ce bleu maculĂ© de taches blanches, faisant du miroir du texte une sorte de rumeur de la page, un bruit cosmique.

Car ce petit livre sombre de black letter – lettre obscure de tous les secrets de fabrication et autres savoirs occultes qui sont ceux des premiers temps de l’atelier de l’imprimeur et de la science Ă©mergente des thĂ©ophanies, astrologies et autres alchimies antiques et mĂ©diĂ©vales â€“ garde des mystères qui ne peuvent s’éclairer que dans le temps long de la considĂ©ration de l’objet imprimĂ©, lorsque l’œil se sera acclimatĂ©.

Fanette Mellier, Astronomicum

On pourra alors penser Ă  cette image que nous livre Giorgo Agamben2, de ce regardeur qui est contemporain parce que, lorsqu’il projette son regard dans ce ciel nocturne – qui est un ciel du temps et de l’éloignement d’un univers en expansion, peut-ĂŞtre un ciel des espaces parallèles â€“ il privilĂ©gie les tĂ©nèbres Ă  la recherche de ces galaxies qui s’éloignent trop vite de lui pour que leur lumière puisse l’atteindre…

On pourra alors dĂ©couvrir de subtils dĂ©tails livrĂ©s Ă  notre interprĂ©tation, comme lorsque, dans la scène primitive de l’invention de l’écriture, seule la caste des scribes Ă©tait capable de lire les constellations cĂ©lestes comme des signes sacrĂ©s de divination. On verra peut-ĂŞtre alors que seuls les contre-plats de deuxième et troisième de couvertures nous prĂ©sentent des vues photographiques de ciels nocturnes. Des images, semble-t-il assez discrètement mĂ©diatisĂ©es, des images d’images peut-ĂŞtre issues des banques de la Nasa, ou subtilement reconstruites en hommage Ă  l’imagerie de masse de la science fiction. En tous cas des images très intempestives vis-Ă -vis du contenu de ce long poème stellaire astronomique et astrologique de Marcus Manilius, Ă©crit au premier siècle av. J.-C. et imprimĂ© pour la première fois dans cette Ă©dition du XVIIe siècle naissant. On pourra songer en passant au fait que Marcus Manilius, auteur syrien exilĂ© Ă  Rome, porte le mĂŞme prĂ©nom que le fils de Fanette. On s’apercevra peut-ĂŞtre que les petites Ă©toiles de la nuit des pages sont des peluchages du genre de celles qui se forment lorsque la rotative offset arrache des particules Ă  la feuille d’impression – et l’on se rappellera que le travail expĂ©rimental sur les machines offset est une rĂ©currence du travail de Fanette, fille d’imprimeur â€“, ou de celles qui peuvent se crĂ©er lorsqu’on dĂ©chire ou qu’on dĂ©coupe le papier.

Fanette Mellier, Astronomicum

Justement, lorsque l’on presse le pli français des feuillets, se découvre dans la courbure de l’espace intérieur de la feuille, la constellation régulière d’un beau texte accueillant, avec contraste de lecture adapté, noir sur fond blanc, dans un corps suffisant, en linéale fonctionnelle et composition rationnelle fer à gauche.

Mais il faudra, pour correctement appréhender le texte de médiation, déchirer le pli qui le couvre, littéralement le découvrir, l’expliquer dans un geste, qui, en même temps qu’il rappelle la forme ancienne de l’imprimé à la française non massicoté, accuse l’outrage au fétichisme bibliophile de ce petit ouvrage précieux. Un geste violent qui peut créer une intimité et un confort de lecture en même temps que ces écritures de poussière dans le bleu de l’encre des pages.

  1. Robin Kinross, « La typographie moderne Â», in La typographie moderne. Un essai d’histoire critique, Ă©ditions B42, 2012 (Hyphen press, 1992), p.9 Ă  18 []
  2. Giorgo Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Payot & Rivages, 2008, p. 24 []

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