Saint Jean, peut ĂȘtre fils de ZĂ©bĂ©dĂ©e, apparaĂźt dans la tradition chrĂ©tienne comme un saint trĂšs charnel. Alors quâil Ă©crit Ă Patmos son Apocalypse1, il est soudain enjoint par un ange de manger le livre que ce dernier lui tend. Dans le verset 14 du chapitre premier de son Ă©vangile (mĂȘme si lâon est pas sĂ»r quâil sâagisse du mĂȘme Jean) il affirme, peut-ĂȘtre goulu : « Oui, la parole sâest faite chair ».
Câest-Ă -dire quâune mĂ©taphore gastronomique sâinstalle dans les imaginaires du signe. Le livre est une saveur dont on se dĂ©lecte : un savoir quâon goĂ»te, quâon rumine, quâon picore. Lâincarnation qui constitue avec la TrinitĂ© et la RĂ©demption le cĆur du mystĂšre chrĂ©tien, propose un accord possible du signe et de lâaction, du symbole et de la prĂ©sence. Un secret qui vient bien sĂ»r concerner le texte, depuis longtemps lieu des espaces virtuels, mais qui semble encore plus qualifier en propre une image conçue dâabord â comme son nom lâindique â comme image de, apparence, mais sans doute encore plus Ă©rotique du corps plus ou moins prĂ©sent, plus ou moins absent.
On ne rappellera pas trop la scĂšne touchante du mythe de lâinvention du dessin et de lâimage. De cette jeune amoureuse de Sycione, fille du potier Dibutades ou Butades2, qui vient, dans la nuit brĂ»lante dâun scĂšne dâadieux, cerner fĂ©brilement lâombre portĂ©e de son amant en partance.
L’image contre la mort, contre la disparition, est une tension vers lâordre des choses : une modĂ©lisation, un attachement aux apparences, un miroitement dĂ©sirant de ce quâon peut rencontrer des phĂ©nomĂšnes. Ă la fois, pour parler comme Jean-Luc Godard, la rĂ©flexion de la rĂ©alitĂ© et la rĂ©alitĂ© de cette rĂ©flexion.
Tout rĂ©cemment, Ă lâEnsba Lyon, Mathias Schweizer est venu entretenir sa passion des images en menant un atelier qui marque la deuxiĂšme occurrence de La fonderie des glaces. Alors que dans un premier Ă©pisode bisontin, il avait menĂ© les Ă©tudiants dans lâurgence graphique dâune forĂȘt, il vient maintenant prĂ©parer pour un groupe de deuxiĂšme annĂ©es Design Graphique, dans la capitale de la gastronomie, un pique nique intĂ©rieur en forme dâanalyse dâimage : un festin iconodule.
Paysage en kit pour un pique-nique dâintĂ©rieur
Le postulat voulait que chaque participant imagine une ou plusieurs images, un objet mobilier (assise ou appui) pour contempler cette image et une recette de cuisine singuliĂšre Ă dĂ©guster installĂ© face Ă lâimage. L’ensemble des Ă©lĂ©ments devait pouvoir ĂȘtre facilement transportable, montable et dĂ©montable et à la maniĂšre d’une tente de camping, et prĂ©sentĂ© de maniĂšre sauvage et imprĂ©vue sous la forme d’un pique nique d’intĂ©rieur.
Je suis venu avec peu de rĂ©fĂ©rences en dĂ©but dâatelier afin ne pas contraindre dĂšs le dĂ©part ce dĂ©placement de territoire par le corps. PrĂ©fĂ©rant laisser les Ă©tudiants chercher individuellement un axe vierge pour cette ballade sĂ©dentaire et pouvoir le cas Ă©chĂ©ant, pointer avec eux les choses utiles Ă voir, en fonction de chacune des propositions.
Le dĂ©roulement de l’atelier fĂ»t un vĂ©ritable rĂ©gal, les idĂ©es de chacun rebondissant sans cesse, glissant souvent des uns vers les autres dans un partage joyeux et intelligent, pour aboutir au jour âJâ.Vendredi 13 dĂ©cembre 2013 Ă 12h30 prĂ©cise, douze personnalitĂ©s dâune Ă©tonnante maturitĂ© se sont dĂ©ployĂ©es de concert tels une horde fantastique dans la cafĂ©tĂ©ria de lâĂ©cole, offrant Ă leur collĂšgues des classes mitoyenne, des scĂšnes curieuses et singuliĂšres, dĂ©plaçant le contexte de maniĂšre Ă©phĂ©mĂšre le temps dâun festin narratif.
Je dirais que nous avons pratiquĂ© du graphisme Ă l’Ă©tat pur durant ces cinq jours, partant dâune commande pour dĂ©velopper un propos construit et singulier, tout en abordant des questions liĂ©es Ă la mĂ©thodologie, Ă la recherche de rĂ©fĂ©rents, pour aboutir Ă cette idĂ©e gourmande et gĂ©nĂ©reuse, de partage des idĂ©es et du langage cher Ă mes yeux.
Mathias schweizer