« la nécessité de ne s’exprimer que par signes en présence du Sultan Mourad porta la langue des muets à son plus haut point de développement : les clignements d’yeux, le mouvement des lèvres, le craquement des dents avaient remplacé la parole. »
Joseph Hammer, Histoire de l’empire ottoman, 1837
L’histoire en la personne de Nicholas Evans nous rapporte que dans les temps anciens d’avant l’établissement de la république d’Atatürk, la Turquie et ses sultans, ses grands vizirs, inventa et perpétua un ingénieux système cryptographique pour garantir l’inviolabilité des secrets de l’empire de la Sublime porte.
Les serviteurs du Sultan étaient choisis en fonctions d’une infirmité qui garantissait leur inconditionnelle soumission. Ils constituaient en effet toute une communauté de sourds-muets, en turc Dilsiz – sans langue – qui communiquaient uniquement par un langage secret, visuel et corporel, du geste et de la posture.
Ces proches et ces soumis en qui le sultan pouvait fonder une confiance indéfectible entretenaient avec lui une relation privilégiée. Ils occupaient au palais une place marginale et presque amicale qui contrastait avec la hiérarchie fonctionnelle et concurrentielle de la cour. Le sultan pouvait développer avec eux seuls des relations de confidence et de jeu que finissaient par jalouser les courtisans valides. L’ensemble des conseillers et des dignitaires finit avec le temps par adopter cette langue du handicap en la constituant en haute norme du Sérail.
Le palais devint ce lieu d’un décorum du silence et de la gestualité discrète qui a disparu avec la première guerre mondiale et dont on est pas sûr que la langue des signes de la Turquie moderne soit l’héritière.