Le passage de la capitale lapidaire romaine, ou plutôt de sa version calligraphique rustica à la minuscule dura un millénaire et fut le théâtre d’une incroyable inventivité graphique. Les formes ingénieuriales puissantes de la gravure lapidaire romaine incarnant la voix de l’empire se confrontant à la souplesse du calame, au geste concentré et intime du moine copiste et au recueillement du texte sacré. Un autre terrain de jeu moins connu de la graphie, cet entre deux de l’image et de l’écriture, du visible et du lisible, fut le passage de la calligraphie à la typographie qui s’accompagnait de la mise en place des langues nationales.
L’excellente Histoire de l’écriture typographique d’Yves Perrousseaux, dont on attend avec impatience le tome II, nous montre l’incroyable inventivité de ce double effort de typisation de la calligraphie et de l’oralité. Ainsi, Perrousseaux nous rappelle-t-il, entre autres, les merveilleux signes typographiques reprenant les abréviations manuscrites courantes (illustration 1, alphabet de l’atelier de la Sorbonne, 1468, dernières lignes), les étonnantes tentatives typo et orthographiques pour affirmer et revendiquer le récit fondateur d’une langue nationale (illustration 2, signes diacritiques de la Grammaire de Pierre de La Ramée, imprimé à Paris par André Wechel, 1572), et enfin les créations typographiques expérimentales proprement incroyables que Geofroy Tory recueille, en 1529, dans l’Utopie de Thomas More, édité dès 1516, et qui préfigurent, avec au moins quatre siècles d’avance, les propositions modernes et contemporaines d’un Kurt Schwiters, d’un Phil Baines ou d’un Pierre di Sciullo (illustration 3, Champ Fleury, troisième livre) !