Il y aurait d’abord un graphisme tout voué à sa mission de transitivité. L’écrivain, le scientifique, le savant, le critique écrirait et le graphiste inscrirait ce texte premier dans le dispositif transparent d’un texte second épris d’effacement, de modestie, de morale, de respect des hiérarchies. Cette pratique du graphisme serait institutionnelle. Elle conforterait les hiérarchies des genres de l’expression. Elle ne relèverait pas de la littérature. Elle ne produirait pas de critique.1
Il y aurait ensuite un graphisme qui s’affirmerait en relation relative au contenu qu’il relaierait. Un graphisme auctorial, intransitif, concentré dans la définition d’une position dans le champ de l’écriture, de la vie des formes et des couleurs de la cité, dans l’histoire et les attitudes lettrées. Ce graphisme émettrait un jugement, un commentaire. Il participerait d’un mouvement critique vis-à -vis de son contenu. Il réfléchirait ses propres moyens, la définition de son champ disciplinaire et les conditions plus générales de leur avènement. Il ne pourrait transmettre avec efficacité son contenu. Il ne relèverait pas de ces techniques de la connaissance et de la science. Il ne permettrait pas aux voix de la cité de résonner avec clarté sur la place publique, d’être précisément qualifiées, efficacement discutées et de permettre l’individuation de chacun et le progrès du savoir de tous.
Ces belles oppositions peuvent-elles être dépassées ? La critique comme affirmation d’un point de vue plus ou moins subjectif, en quelque sorte anti-institutionnel, peut-elle s’accorder à la critique objective comme procès public de la délibération et de la négociation des formes et des cadres de représentation de la cité ? Le graphisme est-il concerné par de telles responsabilités ? Que peut la critique pour le graphisme ? Que peut le graphisme critique ? Pour être objectif, faut-il ne surtout pas écrire ? La médiation est-elle la faute froide de l’auteur ?2
- Ce texte s’inspire librement de l’intervention de l’historien Ivan Jablonka qui se demandait « Comment Ă©crire l’histoire : pour des sciences sociales crĂ©atives » dans l’émission de Sylvain Bourmeau La suite dans les idĂ©es du 27 septembre 2014. Il me semble que la situation de l’histoire, science humaine qui doit raconter et Ă©crire pour rapporter des faits peut dire quelque chose des problĂ©matiques de l’inscription graphique plus ou moins documentaire. [↩]
- Les illustrations montrent deux performances rĂ©alisĂ©es les 24 et 25 mai 2014 par Alexandru Balgiu et Fabrice Mabime, comme une forme de lecture subjective et analytique – dans son sens grec de dĂ©composition – de l’exposition de la section graphisme de l’Ensba Lyon rĂ©alisĂ©e par Manon Bruet et Pierre Boggio au 25e Festival de l’Affiche et du Graphisme de Chaumont [↩]