On a parfois l’habitude de dire, dans les écoles d’arts appliqués, que le logotype, soit le discours — logos – formalisé — type – toujours plus ou moins intéressé d’une institution, d’un événement, d’un service, d’un produit, d’une marque, s’oppose à l’identité visuelle en ce sens que le logotype est plus monolithique, qu’il découle d’une pensée des temps immémoriaux du sceau, du marquage des animaux ou de ces prostituées antiques d’Alexandrie qui, dit-on, laissaient sous leur pas de péripatéticiennes, leur nom marqué en creux sur la semelle de leur chaussure.
Il y aurait une dimension moins liée à la violence, à la possession, à l’échange stratégique, au commerce et aux fétiches de la marchandise dans une identité visuelle qui se créerait apparemment plus « sémiotiquement », par règles grammaticales générant les élément du discours de l’économie ou de la culture de façon ressentie comme plus libre et ouverte, plus légère et intellectuelle, en profitant des potentiels des différents supports de la diffusion des messages.
On pourrait aussi penser que cette forme plus processuelle de la production des messages est liée à cet âge industriel du médium « à l’ère de sa reproduction technique ». Une ère qui multiplie les occurrences sensibles en articulant la multiplicités des formes sans porter atteinte à la cohérence et peut-être à une certaine singularité du discours, soit un âge de l’in-formation. Ce nouvel âge de l’information et de la publicité1, c’est-à -dire, dans son sens originel et étendu, de la constitution de ce qui est public – comme l’espace, comme le service — est le temps de la diffusion d’un sens qui cherche à ne pas être diffus. C’est aussi un temps de l’accélération du sens, c’est-à -dire, à bien lire ce terme, de la circulation des formes.
Comprendre un message devient alors non seulement le fait de créer un con-tenu, de tenir quelque chose « avec » soi selon le vieux cum latin et de l’emmener avec nous, mais aussi de prendre cette chose, cette figure, avec le fond sur lequel, comme l’ont dit les gestaltistes, on a pu la faire surgir et ex-ister.
Pour désigner ce régime de la chose prise dans une théorie des contextes et des ensembles, on a pu parler, comme Julia Kristeva et Roland Barthes d’intertextualité2, comme Mikhaïl Mikhaïlovitch Bakhtine avant eux de dialogisme3, ou comme Gérard Genette reconfigurant Jacques Derrida d’architexte4 .
L’information, prise entre singularité et pluralité, autographie et allographie pour reprendre la distinction de Nelson Goodman5, différence et répétition pour reprendre le terme de Gilles Deleuze6 est prise sous le régime de la traduction, de la partition, de l’interprétation qui place peut-être le graphiste, ce scripteur et ce lecteur de tous les écrits, dans une situation stratégique.
En tous cas la multiplication des scènes singulières et des états du signe graphique qui sont pourtant susceptibles de composer un même ensemble distribué, une même orchestration, un même dispositif, propose au graphiste, au typographe, au dessinateur de lettres, de livres, d’affiches et de pages une nouvelle matière.
- Un nouvel âge de la sĂ©rialitĂ© qui a eu son histoire et sa prĂ©histoire : l’antiquitĂ© romaine copiait l’antiquitĂ© grecque, le roi nĂ©o-babylonien archĂ©ologue Nabonide estamplillait ses sceaux d’une Ă©criture qui imitait le vieux babylonien… [↩]
- Julia Kristeva, « La sĂ©miologie : science critique et/ou critique de la science », Tel Quel, ThĂ©orie d’ensemble, Seuil, Paris, 1968 Roland Barthes, « Texte (ThĂ©orie du) », Encyclopædia Universalis, 1968 [↩]
- MikhaĂŻl MikhaĂŻlovitch Bakhtine, La poĂ©tique de DostoĂŻevki, Seuil, Paris, 1970, p. 347 [↩]
- GĂ©rard Genette, Introduction Ă l’architexte, Seuil, Paris. En 1967, Jacques Derrida dans De la grammatologie, Éditions de Minuit, Paris, Ă©tend le concept et gĂ©nĂ©ralise, avec l’archi-Ă©criture, l’écriture Ă l’articulation Ă l’origine de toute sĂ©miose, de tout phĂ©nomène langagier, et peut-ĂŞtre mĂŞme de toute pensĂ©e. GĂ©rard Genette replace avec le concept d’architexte, tout texte dans un ensemble de genres, de classes, de modes d’apparition du texte qui permettent sa comprĂ©hension et son apparition. [↩]
- Nelson Goodman, dans Languages of Art, Hackett Publishing Company, Indianapolis, 1976, distingue les Ĺ“uvres allographes qui conservent leur unicitĂ© dans leur reprise, leur copie, leur interprĂ©tation, leur partition comme massivement les arts du spectacle et de l’évĂ©nement, et les Ĺ“uvres autographes qui ne peuvent ĂŞtre copiĂ©es sans produire un nouvel artefact, une nouvelle Ĺ“uvre. [↩]
- Gilles Deleuze, DiffĂ©rence et rĂ©pĂ©tition, Presses Universitaires de France, Paris, 1968 [↩]