Peut-on cliquer impunément sur une image d’Auschwitz ? La pragmatique de l’interface numérique est aussi le lieu de négociations symboliques, esthétiques et éthiques. Et d’autant plus que cette opérabilité des technologies de l’information engage tout un imaginaire réflexif de l’information, du programme et du code.
Entre écran, écrit et digital, cette façon pas exclusivement computationnelle de coder l’information avec nos doigts, Luna Maurer, Edo Paulus et Jonathan Puckey arpentent des sentiers divergents de la pratique numérique qui reformulent souvent les séparations et les porosités consenties entre analogique et numérique, virtuel et matériel.
Avec Skycatcher, une archive photographique des ciels d’Amsterdam pris d’un toit à intervalles réguliers, Luna Maurer pouvait tenter un graphisme d’information imagé s’éloignant de l’abstraction distante du chiffre. Avec Conditional Design, le trio explorait la façon dont les pratiques numériques peuvent informer des productions graphiques très manuelles, matérielles et analogiques par la logique de la programmation.
Une pratique graphique programmée et procédurale qui rappelle la peut-être pas si étrange concomitance du moment conceptuel ou art de l’information, du structuralisme du « linguistic turn », et de l’âge informatique au tournant des années 60.
Précisément, leur dernier projet sous l’égide du nouveau studio Moniker s’intéresse à la flèche ou pointeur ou curseur. Un des outils essentiels de la grammaire de l’interface visuelle de l’ordinateur de salon mise au point par Douglas Engelbart au Stanford Research Institute et Jacob Goldman au Xerox PARC à la fin des années 60. Un des opérateurs de ce vocabulaire rassurant de la bureautique plus ou moins intime qui voit l’écran devenu bureau profond et les données informatiques devenues objets manipulables, fichiers ou dossiers.
Pointerpointer propose à l’internaute zélé, en réponse à la simple apposition du pointeur dans la géométrie bidimensionnelle de l’écran, toute une galerie de ces imageries photographiques de sociabilité plus ou moins intime dont raffole internet. Ce nouvel espace public où l’on s’affiche, pour le meilleur et pour le pire, avec un effet d’immédiateté qui permet tous les effets de proximité.
Dans chacune des images, un personnage, un groupe, parfois un doigt isolé vient offrir à la flèche, quel que soit son emplacement, une réponse interactive en forme de miroir presque à chaque fois renouvelée. De l’espace profond virtuel d’une image amateur, une liste, une foule de mouvements viennent pointer, dans le signe déictique bien connu, cet outil de la désignation des technologies de l’information et de la communication.
Quand le sage montre la lune, l’imbécile, le graphiste numérique ou le sémioticien regardent le doigt.
Merci Ă Pierre et RĂ©my.