Syndicat, « La fille, le fruit, le perroquet et la piqûre à cheval Â», « On ne se rappelle que des photographies Â», « Les référents Â», 2013

Bernard Marcadé m’a dit un jour que « les graphistes, on savait déjà que c’étaient des conceptuels Â». Et je m’étais dit que ce on c’était lui. Je m’étais dit aussi que, peut-être, il pouvait dire cela parce que beaucoup d’artistes historiques de la scène plus ou moins pop, conceptuelle et Fluxus des années 60-70, étaient aussi plus ou moins officiellement graphistes. D’Andy Warhol ou Edward Rusha à George Maciunas en passant par Wolf Vostell, Dick Higgins, Dieter Roth, Guy de Cointet ou même peut-être Lawrence Weiner, beaucoup d’activistes de ces attitudes devenues formes qui pouvaient, sinon installer l’art dans la vie – pour ou contre le marché â€“, du moins le faire reposer sur des questions de langage, de circulation culturelle et d’information, étaient effectivement des praticiens plus ou moins nécessaires du livre (d’artiste) et de la typographie.

Syndicat, « On ne se souvient que des photographies Â», 2013

Syndicat, « On ne se souvient que des photographies Â», 2013

Syndicat, « On ne se souvient que des photographies&nbsp», 2013

Syndicat, « On ne se souvient que des photographies Â», 2013

Je m’étais dit aussi que le graphiste, parce qu’il manipule un texte premier dans l’énonciation d’un texte second est forcément à distance de son objet et, peut-être paradoxalement, de certaines de ses dimensions les plus formelles. Qu’il est forcément plus facilement concerné par les questions langagières de traduction, de conversion, de transposition et des phénomènes d’écart, de parallaxe, mais aussi d’autonomisation, d’objectivation linguistiques que peuvent créer ces nouvelles tentatives de formulation. J’avais pensé à ce que dit François Bresson1 de la langue : que si l’acquisition de la langue orale ne nécessite pas, globalement, une « pratique explicitement organisée et socialement dirigée Â», « il n’en va pas de même pour l’écriture et la lecture qui ne peuvent être l’objet d’une procédure spontanée d’acquisition Â». Je m’étais dit que ce travail distant et second du graphiste, il pouvait peut-être avoir affaire avec cette langue seconde de l’écriture, cette distance peut-être plus explicitement codée, plus évidemment sociale, opérée par l’écriture sur le langage oral. Même si, en la matière, de l’écrit ou de l’oral, on ne sait pas bien lequel est premier par rapport à l’autre. Même si les questions langagières sont déjà convoquées dès qu’on peut parler de forme, dès que la forme peut subvenir.

Syndicat, « La fille, le fruit, le perroquet et la piqûre à cheval Â», 2013

Syndicat, « La fille, le fruit, le perroquet et la piqûre à cheval Â», 2013

Je m’étais dit que beaucoup des pratiques artistiques récentes qui s’intéressent à la circulation et aux conditions d’avènement de l’information, ces pratiques qui interrogent les procédures de collecte et de classement, d’archive, de documentation, de médiation, de commissariat, d’exposition, en quelque sorte, pour elles-même2, si elles prenaient leurs sources dans le linguistic turn des années 60, devaient aussi quelque chose à la figure médiate du graphiste.

Syndicat, « Les référents Â», 2013

Syndicat, « Les référents Â», 2013

Syndicat, « Les référents Â», 2013

Je pensais que, symétriquement, l’engouement des graphistes pour les stratégies et les vocabulaires de l’art conceptuel, s’il pouvait relever de cette mission d’acclimatation de l’art appliqué — Ã  l’industrie, à l’économie, à la place publique â€” qui faisait qu’on adoptait les codes de la dernière conversion décisive de l’expression artistique, il devait aussi à la valorisation d’un moment qui avait précisément parié, au sein des arts dits majeurs, sur l’esthétique du livre et de ses petites mains.

Je pensais enfin que, cette génération des « digital natives Â», ces natifs de l’écran et de ses espaces profonds et ductiles, ces enfants de l’informatique, il n’était pas si surprenant qu’ils soient fascinés, au risque du fétichisme, par les formes de l’art de l’information.

Syndicat, « Catalogue des diplômés de la Villa Arson Â», 2013

Syndicat, « Catalogue des diplômés de la Villa Arson Â», 2013

Illustrations : Syndicat, Sacha Léopold et François Havegeer, 2013

1. François Bresson « Apprentissages de la lecture Â» in Roger Chartier (dir.) Pratiques de la lecture, Petite Bibliothèque Payot, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2003, p.16 [↩]
2. Je pensais par exemple au travail de Postdocument, à la réflexion d’Aurélien Mole sur les « artistes iconographes Â», au questionnement de Rémi Parcollet ou de Didier Schulmann sur la médiation photographique de l’art, à cette façon de souligner la cause médiatique commune du livre et de l’exposition menée par Jérôme Dupeyrat. [↩]