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Enotikon

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« Les tirets sont les signes 
de la digression et de l’incise, multiplicateurs des voix et des registres, le tiret et les parenthèses coïncident pleinement avec notre 
goût de la discontinuité.1»

Morgan Fisher, photogramme, Standard Gauge, 35′, couleur, 1984

Le tiret peut être compris comme une amorce2, le début d’un déplacement, d’un cheminement qui annonce la construction d’une pensée, d’une forme, d’une formulation en mouvement. Le « trait de pensée », 
le Gedankenstrich3 en allemand.

En 1965, Bruce Conner reçoit une commande du New York Film Festival pour réaliser l’affiche de l’événement. Cette affiche fonctionne comme le déroulement d’un film. Les éléments qui la composent forment une séquence d’images en mouvement qui aurait dû servir de générique aux films programmés durant le festival à l’instar des publicités télévisées.

Bruce Conner, affiche pour le New York Film Festival, 1965

Bruce Conner, gros plan de l’affiche du New York Film Festival, 1965

Cette affiche-film (ou film-affiche) a été construite en réunissant dix fragments de pellicules de 24 images, représentant tous des amorces de bobines. Ce film, Ten Second Film, d’une durée de 10 secondes en noir 
et blanc, sans son est une synthèse 
du cinématographe entendu 
dans son sens Bressonien4, 
qui montre la matière filmique en révélant la mécanique du cinéma. Un commencement avant le commencement, un temps 
en suspens.

Bruce Conner, photogramme, Ten Second Film, 10″, noir et blanc, 1965

L’amorce introduit donc un fragment, un indice, c’est le signe d’un commencement. « Chez Poe comme chez Jules Verne c’est souvent 
le fragment de papier dont s’empare 
le héros qui amorce l’enquête, suscite la narration. C’est parce que le réel 
est fragmenté qu’il incite 
à l’herméneutique5».

Le tiret est un « signe taillé pour créer l’illusion des changements de direction de la pensée brute, à la façon d’un dialogue mental à plusieurs voix6». Il permet ainsi la discursivité, méthode qui se caractérise par le passage d’une proposition à une autre et qui ne s’astreint pas à une continuité rigoureuse. En typographie, la discontinuité est un blanc, un signe de fragmentation qui signifie le passage d’un paragraphe 
à un autre.

Setumôt et Petuchôt dans le Codex de Léningrad, 1008

« Référons-nous en premier lieu au blanc, signe de fragmentation par excellence. La compulsion au blanchiment (traduite autrefois par l’emploi des “pieds de mouches”) apparaît effectivement comme la caractéristique première de l’écriture fragmentaire, dont Les caractères (1688) de La Bruyère constitue l’archétype selon Pascal Quignard. […] Au delà de l’apparence d’un texte morcelé, c’est la continuité discursive qui mérite d’être questionnée7».

Jean de La Bruyère, double page, Les Caractères, 1688

Cette continuité discursive du texte telle qu’elle se manifeste par la ponctuation comme mise en scène de la rupture, pourrait être cette alternance du montage qui fut rendue célèbre par David Wark Griffith dans son film The Adventure of Dollie réalisé en 1908.

David Wark Griffith, photogramme, The Adventure of Dollie, 12’, noir et blanc 1908

Celui-ci fut le premier à comprendre qu’il fallait faire sentir au spectateur « une continuité temporelle et spatiale d’une scène à l’autre, d’un plan à l’autre. Et que l’action se déroule à l’intérieur d’une unité physique et matérielle intuitivement repérable8». Il impose une unité logique au moyen d’éléments fragmentés afin d’impliquer le spectateur dans le développement narratif. À partir de ce moment, le standard du one reel movie (film à une bobine d’environ 
10 minutes) est dépassé. Le temps 
et l’espace sont alors libérés.

David Wark Griffith, c.1923

Anecdote intéressante, Griffith fut, avant d’être cinéaste, employé en librairie et comprit que dans les romans, les auteurs n’hésitaient pas à basculer d’un lieu à un autre, d’un personnage à l’autre. C’est cette idée qu’il transposa au cinématographe. Du livre au film et du cinéma à la bibliothèque, il n’y a que quelques mètres ou quelques secondes.

Cet enchaînement de fragments forme une phrase séquence définissant un territoire. Il façonne une suite de lieux qui géographiquement ressemblerait aux bocages, région où les champs et les prés sont séparés par des levées 
de terre portant des haies ou 
des rangées d’arbres qui marquent 
les limites de parcelles de tailles inégales et de formes différentes.

Bocage

Le fragment (la parcelle) et la séparation (la levée) dessinent 
des chemins creux nommés « chemins de service » et permettent une déambulation à travers ce maillage.

Chemin de service

Cette liaison par le prolongement rappelle les liaisons musicales, que 
l’on retrouve sur les partitions, en forme de signe arqué dérivant de l’ancêtre 
du trait d’union qui en grec ancien se nomme enotikon.

Joao Gilberto, partition, Hô-Bá-Lá-Lá, 1959

Ce signe diacritique pourrait être cette surprenante suture que prôna Karel Teige comme système de pensée :

« Dans la métropole moderne, les avenues sont droites. Il est admissible, voire nécessaire, que les sentiers des jardins publics décrivent des courbes étranges et magiques, protégeant la méditation du solitaire ou l’entretien des amoureux […] Le mélange des deux genres donnerait naissance à un décorativisme qui appliquerait la poésie alogique à la construction fonctionnelle. La distinction des deux démarches permet une synthèse valable9».

Variante du tirant

Variantes du tirant

  1. Pedro Uribe Echeverria, Tirets et parenthèses, ou le for intérieur. Article en ligne consulté le 30.05.2012 : http://www.lexpress.fr/culture/tirets-et-parentheses-ou-le-for-interieur_780021.html []
  2. L’amorce est comprise ici dans son sens filmique. « L’amorce dans le vocabulaire du cadre, est une partie d’un élément composant l’image qui est placé devant la caméra (en premier plan) : objet, meuble, plante, accessoire… ou une personne, n’occupant que partiellement cette image. […] On parlera aussi d’amorce à propos d’un type bien particulier de pellicule positionnée en début ou en fin de film. Elle permettra, comme amorce de début, d’entraîner derrière elle l’image ou le son, ou les deux. Pour permettre le passage du film dans la mécanique complexe d’un projecteur, l’amorce précède le support sur lequel sont les informations (les images et les sons), comme une sorte de guide, bande neutre, souvent opaque ou peu translucide. Elle permet ainsi au film de rejoindre la bobine réceptrice de l’installation, tout en donnant une marge d’avance sur la “lecture” de ce qui est projeté ou écouté. » Article publié dans le Ciné-Magazine LICELFOC. Document en ligne consulté le 20.01.2014 : http://www.licelfoc.com/index.php?option=com_content&view=article&id=192:amorce&catid=43:les-mots-du-plateau&Itemid=58 []
  3. Selon le Nouveau Dictionnaire de la langue allemande et française (1784) de Christian Friedrich Schwan, Ein Gedankenstrich signifie « une barre ; trait de plume pour faire le lecteur attentif à ce qu’on dit. Gedanke (en T. de peinture ou T. d’art de dessiner) la première pensée, le croquis, l’esquisse ». []
  4. Robert Bresson fait une distinction entre cinéma et cinématographe. Le cinéma serait associé à une certaine idée du « théatre filmé » et à son lieu de diffusion, 
la salle de cinéma, alors que le cinématographe serait l’art cinématographique. []
  5. Daniel Charles, Daniel Oster, « Fragment, littérature et musique », Encyclopædia Universalis. Document en ligne consulté le 02.02.2014, http://www.universalis.fr/encyclopedie/fragment-litterature-et-musique/ []
  6. Pedro Uribe Echeverria, Tirets et parenthèses, ou le for intérieur. Article en ligne consulté le 30.05.2012 : http://www.lexpress.fr/culture/tirets-et-parentheses-ou-le-for-interieur_780021.html []
  7. Myriam Ponge, 
« La fragmentation typographique » in Littéralité Figures du Discontinu, p. 13-14, Presses universitaires de Bordeaux, 2007 []
  8. David Vasse, conférence « L’ évolution du montage de Griffith à Godard », in Les grandes leçons du cinéma, Université de Rennes 2. Document consulté en ligne le 09.10.2013 : http://www.canal-u.tv/video/universite_rennes_2_crea_cim/l_evolution_du_montage_de_griffith_a_godard.3340 []
  9. Karel Teige, Liquidation de l’art, p. 34-35, éditions Allia, 2009, Paris []

Entrevue

Beauregard