L’Ă©nigmatique Masque est une collection qui dĂ©marre en 1927 avec la publication du fameux roman d’Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, et peut ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme une des premières collection policière en France. Y paraĂ®tront tous ce que le futur panthĂ©on des Ă©crivains-Ă -mystères compte comme meilleures plumes. C’est d’ailleurs de plume dont il est question sur la marque, dĂ©sormais entrĂ©e dans l’insconscient populaire, de la collection. Son crĂ©ateur Albert Pigasse avait en effet demandĂ© Ă Maximilien Vox de dessiner le logo de la collection et en 1926, le masque d’Arlequin percĂ© d’une plume d’Ă©critoire Ă©tait mis en forme.
Il sera publiĂ© près de 2500 titres dans cette collection faisant de Pigasse le plus prolifique Ă©diteur de romans policiers au bien curieux parcours. Étudiant en droit, il se retrouve en 1925 conseiller littĂ©raire chez Grasset; passionnĂ© des romans de Leroux et Leblanc, il germe dans son cerveau un embryon d’idĂ©e. CrĂ©er une collection entièrement dĂ©diĂ©e au mystère et Ă ses pourfendeurs. PrĂ©sentĂ©e Ă monsieur Grasset le projet fait pschiiit et Pigasse quitte les Ă©ditions pour fonder les siennes propres: ce sera La Librairie des Champs-ElysĂ©es, rue MarbĹ“uf. C’est de cette petite rue au cĹ“ur du VIIIe que naĂ®tront Les Éditions du Masque. Surfant sur la mode de l’Ă©poque pour les whodunnit (qui l’a fait?), les livres s’arrachent bientĂ´t. Sandrine SĂ©nĂ©chal nous apprend ainsi que Jean Cocteau berçait son addiction Ă l’opium en lisant les romans du Masque: «sans vos livres une dĂ©sintoxication serait l’enfer. Avec leur compagnie, cet enfer devient agrĂ©able».
VĂ©ritables machines-Ă -succès, les livres respectent tout de mĂŞme la ligne Ă©ditoriale de la maison qui ne veut ni sang, ni sexe et prĂ´ne une morale Ă tout Ă©preuve: le crime est toujours puni. La lĂ©gende veut d’ailleurs que ce soit grâce Ă un article dithyrambique paru dans la Revue des JĂ©suites, et qui soulignait justement la morale de ces romans au cĹ“ur de la fin turbulente des annĂ©es 20, que les ventes firent un bond qui ne se dĂ©menti plus.
Graduellement pourtant les romans du Masque s’Ă©loigneront de la structure classique — un crime, une enquĂŞte, une solution — pour privilĂ©gier, selon SĂ©nĂ©chal, les approches plus littĂ©raires, plus exploratrices des «tourments de l’âme». Et c’est Charles Exbrayat, pilier de la maison, qui crĂ©era, lui, une version drolatique des ces enquĂŞtes, sorte de dĂ©tachement nonchalant et somme toute british, pastiche de la vraie enquĂŞte, mais qui atteint nĂ©anmoins son but, l’humour dans la littĂ©rature noire.
Succès oblige, Le Masque sera concurrencĂ© par de talenteux followers comme la SĂ©rie Noire de Marcel Duhamel qui fait la part belle aux influences amĂ©ricaines et Ă ses dĂ©tectives bordeline; ou encore la fameuse collection de l’Empreinte au graphisme dĂ©co-moderne. Le prĂ©fet maritime, spĂ©cialiste des polars, nous apprend d’ailleurs que François le Lionnais (co-fondateur de l’Oulipo) y tenait une rubrique d’Ă©checs qu’on pouvait lire en fin de volume. La collection l’Empreinte Ă©tait publiĂ©e aux Ă©ditions de la Nouvelle Revue Critique et dirigĂ©e par Alexandre Ralli. Devant ces prestigieux suiveurs, Albert Pigasse et ses collaborateurs diversifieront alors leurs Ă©ditions dans des branchages allant du roman d’espionnage, au thriller en passant par le western et le gothique (SĂ©nĂ©chal) mais en gardant toujours pĂ©renne la racine du roman policier.
Maillot jaune de l’Ă©dition, Le Masque est reconnaissable Ă ses couvertures cartonnĂ©es de la mĂŞme couleur. Celle-ci faisant certainement rĂ©fĂ©rence au mot italien giallo qui dĂ©signait le roman policier en Italie et renvoyait Ă une autre cĂ©lèbre collection des Ă©ditions Mondadori datant de 1929. Julien VĂ©drenne souligne Ă©galement que dès le numĂ©ro deux paru au Masque, les couvertures se verront enrichies de jaquettes illustrĂ©es par des talents dĂ©nichĂ©s par Pigasse: LĂ©andre, Vauxcelle et surtout Jean Bernard qui signera près de 210 jaquettes.
C’est pourtant aux couvertures de la collection Le Club des Masques que je voudrais m’attacher. Sous-titrĂ©e Les MaĂ®tres du roman Policier, de l’Aventure et du Mystère, cette collection, crĂ©e dans les annĂ©es 70 par la librairie des Champs-ElysĂ©es, gĂ©rait la rĂ©Ă©dition des classiques de la collection Masques. Charles Exbrayat, crĂ©ateur de l’irrĂ©sistible Imogène, en sera le directeur. Chaque livre Ă couverture cartonnĂ©e souple mesurait 11 x 16,5 cm et Ă©tait, pour la majoritĂ©, imprimĂ© par Brodard et Taupin. Il est amusant de noter que c’est justement cette imprimerie, d’abord implantĂ©e dans le XVe parisien, qui sera Ă l’origine du livre de poche (Debonne).
Joseph Taupin avait en effet repris dès 1908 l’atelier d’une sociĂ©tĂ© de brochage et de cartonnage de livres sis rue Saint Amand. Modernisant l’entreprise et ses machines, il travaille pour la Mairie de Paris et pour la Revue des Deux Mondes entre autres. Un des administrateurs de la Librairie Hachette le prĂ©sente alors Ă Paul Brodard qui est imprimeur Ă Coulommiers; les deux hommes s’entendent et de leur complĂ©mentaritĂ© naĂ®t en 1923 la SociĂ©tĂ© Imprimerie Brodard et Ateliers Joseph Taupin RĂ©unis. Brodard meurt en 1929 et c’est Taupin qui gère le nouvel empire, «les 30 presses typographiques de Coulommiers alimentent les ateliers de couture et brochage» et permettent la sortie de 27000 volumes / jour. L’Occupation sera clĂ©mente Ă la SociĂ©tĂ© qui produit les livres de classe des petits allemands et Ă la LibĂ©ration c’est vers les Etats-Unis et leurs prouesses techniques que se tourne Joseph Taupin qui garde le sens du vent et des affaires. «Toujours en quĂŞte d’innovations, Joseph Taupin apprend qu’une nouvelle machine est en fabrication aux Etats-unis qui permet le brochage sans couture, simplement par collage du dos du livre. Il ne tergiverse pas, il la commande, pour atteindre son objectif: rĂ©pondre Ă de fortes demandes de livres Ă un prix accessible au plus grand nombre de lecteurs. Cette machine sera d’ailleurs Ă l’origine de la naissance du Livre de Poche auquel il songeait mais que Joseph Taupin ne connaitra pas. Il dĂ©cède le 4 aoĂ»t 1950, le jour oĂą la machine est livrĂ©e Ă Paris». Avec plus de vingt millions de livres par an, les locaux agrandis de la rue Saint Amand deviennent obsolètes et c’est Ă La Flèche (Sarthe) que finiront par s’installer les Presses Brodard & Taupin.
Le Masque doit donc beaucoup au format poche qui fut dĂ©veloppĂ© dans les annĂ©es 30 et connu sa première naissance industrielle au travers des Ă©ditions Albatross fondĂ©es Ă Hambourg en 1932 par John Holroyd-Reece, Max Wegner et Kurt Enoch. L’idĂ©e Ă©tait de tenir compte de la rentabilitĂ© des presses pour produire des livres Ă bon marchĂ©, reliĂ©s en dos-carrĂ©-collĂ© sans coutures, et avec un tirage dĂ©passant souvent les 15000 exemplaires permettant ainsi un prix unitaire très bas. Le format Ă©tait alors de 11,1x 18,1 cm, proportions dites idĂ©ales par Enoch et intitulĂ©es The Golden Mean en rĂ©fĂ©rence Ă la pensĂ©e AristotĂ©licienne du juste milieu dĂ©sirable car lieu d’Ă©quilibre entre les extrĂŞmes. Si le format poche insistait donc sur la pĂ©rennitĂ© Ă©conomique et que les critiques contre-carraient en parlant de (mauvaise) qualitĂ©, il faut simplement rappeler que la Grèce, toujours, avec son idĂ©e de la BeautĂ© comme Ă©quilibre entre symĂ©trie, proportion et harmonie influença les graphistes qui travaillèrent pour le format poche en faisant, Ă l’instar de Tschichold chez Penguin, un objet beau. Pas forcĂ©ment un beau livre mais un livre harmonieux et moderne.
En France c’est Henri Filipacchi alors secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Messageries Hachette, qui crĂ©e en 1953 la collection LDP pour Livre de Poche. Selon Christine Ferniot, la lĂ©gende veut qu’en voyant un soldat amĂ©ricain dĂ©chirer en deux un livre pour mieux le rentrer dans sa poche, il pensa Ă (re)exploiter ce format, pas si rĂ©volutionnaire que ça, puisque en 1905, les Ă©ditions Taillandier avaient dĂ©jĂ commercialisĂ© un format mini Ă petit prix. Les couvertures du LDP rappellent les affiches de cinĂ©ma, une façon sans doute de dĂ©sacraliser le livre, mais aussi, inconsciemment, de souligner les liens fraternels entre cinĂ©ma et livre. Ceci pas uniquement sur le registre de l’adaptation mais aussi de la technique qui, dans les annĂ©es 50-60, est la mĂŞme pour le cinĂ©ma et le design de livres. Les films des uns et des autres Ă©tant dĂ©veloppĂ©s dans les mĂŞmes ateliers.
Preuve de cette liaison bivitelline, les couvertures de Faucheux et PrĂ©vert qui semblent s’animer des signes de BrassaĂŻ pour mieux signifier Spectacle, Paroles, Histoires.
Revenons aux couvertures du Club des Masques. Il y a lĂ des Mystères que le plus chevronnĂ© des dĂ©tectives privĂ©s ne pourrait Ă©lucider. Des phrases-visuelles comme des sous-titres Ă©nigmatiques et par lĂ mĂŞme ouvertes Ă toutes les interprĂ©tations. C’est un article de Patrice Houzeau qui m’a remis sur la piste de ces livres que l’on collectionnait chez moi comme chez d’autres. A priori ces couvertures ne sont que des images. Un principe en apparence simple les regroupent: pour une première sĂ©rie le nom de l’auteur et le titre sont en bandeau de tĂŞte surplombant une «image Ă©trange» comme l’Ă©crit Houzeau. Pour une autre la typographie se cale de façon centrĂ©e, posĂ©e Ă mĂŞme l’image photographique censĂ©e «illustrer» le roman.
Le mot Mystère sied Ă propos tant l’idĂ©e de rituel semble guider ces images censĂ©es parler de meurtre sans le montrer. Elles crĂ©ent un micro-monde, une scène primordiale qui n’est dĂ©jĂ plus celle du crime et pas encore celle du chuchotement au gĂ©nĂ©ral «souviens-toi que tu vas mourir». Les Ă©lĂ©ments, tous symboliques Ă des degrĂ©s divers, prennent place et renvoient au genre typiquement hollandais du XVIIème siècle ici modernisĂ© sous la forme de VanitĂ©s contemporaines. Ces compositions photographiques (le nom de Patrick Magaud revient rĂ©gulièrement sur ces couvertures pour la plupart non signĂ©es) deviennent parfois peintures analytiques et la forme du trompe-l’oeil renforce alors la nature des romans: faire croire Ă la perfection du crime. VĂ©ritables natures mortes, mĂŞme si le mot anglais de still life serait plus appropriĂ© tant la mort semble absente, ou plutĂ´t flottante, ces images fascinent et intriguent. On pourrait les rapprocher des allĂ©gories-inventions littĂ©raires et voir les vices ou les vertus s’y disputer comme dans la Psychomancie de Prudence.
Pourtant c’est Ă un genre qui n’est ni la nature morte, ni la vanitĂ© qu’appartiennent ces images bavardes et posĂ©es. Un roman d’Agatha Christie pourrait nous mettre sur la voie; dans Poirot Joue Le Jeu, le dĂ©tective belge enquĂŞte Ă Nasse House oĂą une «course Ă l’assassin» (Murder Hunt) a Ă©tĂ© organisĂ©e par Ariadne Olivier dans les jardins du domaine. Le titre anglais, Dead Man’s Folly, rappelle que ces mĂŞmes jardins abritent une folie (folly), un temple romain qui devient le centre du mystère.
Durant la course Ă l’assassin, pleine d’indices sous formes de rĂ©bus visuels et de jeux formels (cascade pour cheveux, buste de statue pour homme, etc.), Poirot tombe sur une vraie morte et la vraie enquĂŞte peut dĂ©marrer. C’est donc potentiellement sous le rĂ©gime des folies, du faux et des indices que ces images se rangent.
Les folies sont, par leur dĂ©finition mĂŞme, des architectures construites pour la dĂ©coration d’oĂą leur extravagance. Le XVIIIème est plein de ces temples romains symbolisant les vertus classiques et le XIXème enfoncera le clou en privilĂ©giant Ă©galement ces excentricitĂ©s architecturales qui n’hĂ©sitaient pas Ă planter des pyramides Ă©gyptiennes ou de fausses ruines en plein milieu de jardins privĂ©s. Hyper-ornementales les folies portent en elle le faux, la tromperie sympathique qui ferait prendre des vessies pour des lanternes chinoises, mais elles sont aussi chargĂ©es d’indices.
Un des exemples les plus connus pour les anglo-saxons, et qui prĂ©-date d’ailleurs la folie pour les folies, est Rushton Triangular Lodge construit en 1593 par Sir Thomas Tresham, politicien catholique de la fin du règne des Tudors. Les ornements que l’on trouve sur ce bâtiment pourraient n’ĂŞtre que des prouesses des architectes et sculpteurs de la rĂ©gion, mais comme le souligne Nikolaus Pevsner, there is more than meet the eye dans cette architecture. Le nombre trois est ainsi au centre de cette folie. Trois, symbole de la Sainte TrinitĂ©, qui se retrouve sur l’inscription de Saint Jean au fronton: Tres Testimonium Dant ( Il y a Trois qui est TĂ©moignage). C’est aussi un jeu de mots sur le surnom donnĂ© par l’Ă©pouse de Tresham qui l’appelait Good Tres dans ses lettres. Ce testament Ă la foi du seigneur des lieux est soulignĂ© encore au-dessus de la porte principale. On a longtemps cru que le nombre 5555 y Ă©tait inscrit mais Pevsner pense lui que la typographie trompeuse et le temps ont effacĂ© ce qui devait ĂŞtre Ă l’origine le nombre 3333. Pourtant de rĂ©centes recherches penchent pour la version originale du 5555 qui, soustrait Ă la date de fin de construction de Rushton Lodge (1597), donne le chiffre 3958 qui selon Bede, cĂ©lèbre moine de la rĂ©gion, correspond Ă la date du DĂ©luge.
La chasse aux indices pourrait continuer indĂ©finiment, on notera simplement au passage, que cette folie ostentatoire est pourtant passĂ©e, incognito, au travers des mailles de la rĂ©pression contre les catholiques. Alan Moore se servira d’ailleurs du Triangular Lodge comme dĂ©cor Ă son premier roman Voice of the Fire qui se situe dans sa rĂ©gion natale de Northampton et conte l’histoire anglaise sur près de 6000 ans.
Les couvertures du Club des Masques sont elles aussi indicielles. On y retrouve des motifs rĂ©pĂ©titifs comme dans la sĂ©rie des livres de Rex Stout oĂą une orchidĂ©e apparaĂ®t en permanence. Dans la croyance vietnamienne, l’orchidĂ©e est l’allĂ©gorie de la jeune fille. Mais l’orchidĂ©e, Ă la forme si Ă©vocatrice, tient aussi l’origine de son nom (orchis) d’une partie gĂ©nitale masculine. Cette dualitĂ© en fait le symbole total de l’Ă©nigme sacrĂ©e, celle de l’androgynitĂ©. Pourtant l’orchidĂ©e ne semble prĂ©sente sur ces couvertures que parce que Nero Wolfe, le hĂ©ros Ă©picurien de Stout est lui-mĂŞme amateur de cette fleur… ou bien est-ce un pied de nez Ă la misogynie dont est affublĂ© Wolfe?
D’autres motifs connotĂ©s apparaissent, le revolver, les fleurs fanĂ©es, les reflets et les pendules. Ils se lisent comme autant de rappels de leurs aĂ®nĂ©s en peinture classique, les dĂ©s, la pipe, les bijoux, la bougie, les fleurs, les fruits qui sont des symboles de toute vanitĂ©; temps qui passe, dĂ©chĂ©ance, corruption de toute matière, connaissance, joies de l’existence… mais encore une fois l’intĂ©rĂŞt est dans les dĂ©tails de ces couvertures-folies qui en disent long mĂŞme si, naturellement, on n’a pas lu les livres. Ainsi la sĂ©rie des livres de Catherine Arley, de son vrai nom Pierrette Pernot, comĂ©dienne puis romancière immorale. Le masque de comĂ©die que l’on retrouve sur chacune de ses couvertures renvoie certainement Ă la dramaturgie de ses romans; des mĂ©caniques parfaites qui s’appuyaient sur la part sombre que nous possĂ©derions tous: «Nous sommes tous – et toutes! – capables de tuer. Pour chacun de nous il s’agit, le cas Ă©chĂ©ant, d’une motivation diffĂ©rente, mais chacun est prĂŞt Ă tuer : les uns par pitiĂ©, les autres par haine ou par cupiditĂ©. C’est ce cĂ´tĂ© obscur de l’ĂŞtre humain qui m’intĂ©resse et que je tente d’expliquer, de dĂ©crire.» (1)
Ainsi chaque couverture du Club rĂ©vèle la rigueur de mises-en-scènes picturalo-théâtrales. Des folies visuelles qui nous dĂ©voilent des mystères comme autant de rĂ©bus et Ă©nigmes Ă clĂ©s. Un air surannĂ© ne les quitte pas, celui de ces cartes postales bon marchĂ© aux compositions Ă©tranges (comme dans ces couvertures pour Le Hameau Perdu de E.C.R. Lorac ou La Belle VĂ©ronaise d’Exbrayat); bref un souffle un peu seventies, pĂ©riode de crĂ©ation oblige, chatouille notre interprĂ©tation de ces images. Les compositions sont tour Ă tour naturalistes voire carrĂ©ment surrĂ©alistes. Les Ă©chos sont nombreux Ă l’histoire de l’art, nous l’avons soulignĂ©, mais rĂ©sonnent aussi les influences de photographes de l’Ă©poque. On peut ainsi reconnaĂ®tre une certaine patte hamiltonienne dans des flous brumeux autour de jeunes filles en fleur. Plus Ă©trange encore, Ă ce jeu des familiaritĂ©s, la couverture de La Mort Plane qui renvoie Ă l’imagerie autant en emporte le vent et aux dessins de Kara Walker.
Ces couvertures remplissaient cependant leur rĂ´le: donner envie et intriguer. Amateur ou pas, il Ă©tait impossible de ne pas succomber Ă ces imageries d’un autre Épinal sombre et criminel.
Pierre Faucheux, figure tutĂ©laire du livre, reprendra Ă sa manière ces couvertures pour le Livre de Poche Policier. Ă€ l’inverse des micro-mondes quasi-vaudouistes et surrĂ©alistes du Club des Masques, ses couvertures jouent de compositions sur la double (1ère et 4ème) aidĂ©es d’une typographie active qui vient zĂ©brer une pleine image souvent rĂ©alisĂ©e par la mĂ©thode du photo-collage et du montage. Elles font penser Ă des photogrammes figĂ©s, des instantanĂ©s aux cadrages surprenants qui indiquent un point de vue qui n’est plus celui, englobant et central, de la nature morte. Ainsi Les Messieurs de Delft d’Exbrayat aux fenĂŞtres ouvrant sur des formes fantĂ´matiques elles mĂŞmes nimbĂ©es dans un brouillard pas si nĂ©erlandais que ça. Ou encore la couverture pour Une Petite Morte de Rien du Tout (Exbrayat). Elle est un autre clin d’oeil aux cadrages cinĂ©matographiques chers Ă Bazin qui voyait dans le cadre la preuve de l’existence d’un centre (Tardivon), point d’oĂą graviteront le reste de l’image et le hors-champ. Le cadre devenant Ă la fois un cache et une fenĂŞtre, insistons ici sur la diffĂ©rence toute bazinienne entre Renoir et Hitchcock. Renoir qui voyait le cadre comme un cache mouvant et Hitchcock qui, Ă l’inverse, se servait souvent du cadre pour fermer l’espace, le contenir et «opĂ©rer un enfermement de toutes les composantes».(2) Ces règles se retrouvent dans la composition d’une couverture qui cadre mais paradoxalement ouvre la lecture.
On peut ainsi jouer des parallélismes ou des différences entre les couvertures de Faucheux et celles du Club. Voir, dans le cas de Dors Tranquille Katherine, ne pas ignorer la couverture dessinée pour Le Club du Livre Policier qui lui redonne un aspect livre broché de luxe tout à fait curieux.
Les motifs, les lignes Ă©ditoriales, les choix esthĂ©tiques varient. Une constante pourtant, ces livres de poches, n’en dĂ©plaise Ă Sartre, feront dire Ă Giono qu’ils sont « le plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne» (3). Le Club des Masques en aura largement fait la preuve, au moins visuellement.
toutes les images sont © Les éditions du Masque et Le Livre de Poche Policier
Notes
- (1) Françoise Janin, in Arley, Catherine, Les Beaux Messieurs Font Comme Ça, Paris, 1968
- (2) Le Hors-Champ – CCC
- (3) cité par Christine Ferniot dans son article du nº3155 de Télérama: Des Histoires Plein Les Poches, p.42 (3-9 Juillet 2010)