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Notation alternative / musique continue (2/3)

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Une première réponse au caractère universel de la musique écrite traditionnelle tient dans une position opposée et spécialisée. Celle-ci tient compte de l’obligation d’adapter la notation pour la pratique ou l’instrument. Ce n’est qu’au XVe siècle que ce dernier s’affranchit de la voix et s’empare du rôle soliste. Il peut jouer la mélodie seule ou s’associer à la voix, mais sans jouer la même chose. L’accompagnement instrumental harmonique, c’est-à-dire les accords, et cette nouvelle autonomie entraînent le développement et l’essor, trois siècles durant, d’une notation originale initialement propre aux instruments populaires à cordes pincées comme le luth, la guitare ou encore le cistre: c’est la tablature.

Son développement comporte trois temps: son apparition, sa disparition, puis sa réactivation. Le système tablature indique, sur une représentation schématisée des parties d’un instrument, les doigtés et le rythme. Les informations qu’elle contient sont différentes de celle de la partition au sens où la tablature prend en compte les spécificités de l’instrument et qu’elle permet soit de simplifier l’exécution soit d’informer l’interprète sur l’utilisation précise de l’instrument. Par exemple avec quels doigts de la main droite il faut lever ou rabattre la corde ou comment les faire sonner. Ce n’est plus la musique jouée mais le rapport à l’instrument qui est désormais mis en avant. Dans l’Europe, de très nombreux livres de tablatures voient le jour, comprenant des transcriptions de messes et de motets, de chansons françaises, de madrigaux, mais aussi des danses. Toutefois, la naissance de la tablature, ne se traduit pas immédiatement en un système simple et unique partagé par tous les pays. On distingue en effet différents types de tablatures, jusqu’à trois différents pour le luth au début du XVe siècle.1 La tablature italienne présente une portée à cinq ou six lignes, figure les cordes du luth et porte des chiffres indiquant au musicien la case sur laquelle il doit mettre le doigt de la main gauche. La corde la plus aiguë se trouve en bas. Le rythme à suivre est écrit au-dessus de la tablature.

La tablature de luth italienne, ici présentée avec le Ave Maria de Bartolomeo Tromboncino, vers 1521, est très proche du modèle actuel. Les chiffres déterminent les cases sur les cordes représentées par les lignes.

La tablature de luth italienne, ici présentée avec le Ave Maria de Bartolomeo Tromboncino, vers 1521, est très proche du modèle actuel. Les chiffres déterminent les cases sur les cordes représentées par
les lignes.

La tablature française partage les mêmes caractéristiques que la précédente mais la corde la plus aiguë se trouve cette fois-ci en haut et les chiffres sont remplacés par des lettres: a pour corde à vide, b pour la première case, etc. C’est à l’époque la tablature la plus répandue.

Cette tablature de luth française de Pierre Guédron, Si le parler et le silence de 1608 fonctionne comme la tablature italienne mais remplace les chiffres par des lettres.

Cette tablature de luth française de Pierre Guédron, Si le parler et le silence de 1608 fonctionne comme la tablature italienne mais remplace les chiffres par des lettres.

Enfin, la tablature allemande propose un système différent puisque les cordes de l’instrument ne sont pas figurées. Chaque position est représentée à l’aide d’un signe particulier que le musicien doit savoir décoder.

 

La tablature de luth allemande du début du XVIe siècle ne représente pas les cordes mais les positions de jeu par combinaison de traits.

La tablature de luth allemande du début du XVIe siècle ne représente pas les cordes mais les positions de jeu par combinaison de traits.

Cette tablature est mise au point par l’organiste aveugle Konrad Paumann (1410-1473). Bien qu’il soit difficile de croire qu’un homme aveugle puisse être à l’origine d’une notation, c’est précisément son handicap qui est à l’origine de cette écriture2 . Il faut imaginer une leçon de luth donnée à un élève aveugle. Il ne peut pas lire. Certes il peut écouter son maître jouer, mais il ne peut pas savoir comment. Pour chaque note le maître doit lui fournir deux types d’information: le chœur (la corde) et la frette (l’endroit sur le manche où se place le doigt). Il serait beaucoup plus facile de communiquer seulement une chose, pas deux. Par conséquent le maître ne dit pas, «le deuxième chœur et la quatrième frette» ; il dit tout simplement, «t». De cette façon la dictée des notes va très vite, et avec concision. Toutefois le système, hybride et codifié, est abandonné au XVIIe siècle au profit de la tablature française. L’apparition de cette notation de la musique passe, à l’époque, pour le novice encore plus mystérieuse que la partition classique. À partir du XVIe siècle, les maîtres de musique appellent tablature les airs notés qu’ils donnent pour leçons à leurs écoliers. On dit à l’époque, en général, «donner de la tablature» pour enseigner ou instruire, parce que l’enseignement de la musique, vu la diversité des méthodes, semble offrir une suite de secrets presque impénétrables, ce qui déplace bientôt cette expression dans le sens de causer de la peine ou du souci.3  On dit aussi d’un homme capable d’enseigner, qui en sait beaucoup, qu’il donnera longtemps de la tablature. Tablature devient synonyme de difficulté, d’effort. Cette expression dans la conversation familière atteste bien de la conscience que la population avait autrefois du grand travail et du prix auquel s’achetait la science musicale. D’ailleurs, la tablature se démocratise largement au-delà du luth, jusqu’à être adaptée pour de nombreux instruments très populaires, de la harpe à, plus tardivement, la flûte à bec.

La tablature de harpe celtique du XVIIe siècle combine les écritures verticale et horizontale.

La tablature de harpe celtique du XVIIe siècle combine les écritures verticale et horizontale.

La tablature de flûte à bec de la fin du XVIIe siècle partage beaucoup de traits communs avec la tablature de luth.

La tablature de flûte à bec de la fin du XVIIe siècle partage beaucoup de traits
communs avec la tablature
de luth.

La tablature pour orgue du début du XVIe siècle est visuellement plus proche de la partition.

La tablature pour orgue du début du XVIe siècle est visuellement plus proche
de la partition.

En regard de la partition, la tablature se développe très vite et se généralise en à peine plus de deux siècles. Les musiciens la délaissent pour revenir progressivement à la partition au cours du XVIIe siècle. La raison est simple: cette dernière se stabilise mais surtout, elle livre ses derniers outils qui finissent d’en parfaire les bases et la rendent plus intéressante pour écrire mais surtout diffuser la musique. Le système de barre de mesure se démocratise. L’écriture de la danse le partage aussi. La lecture du rythme est ainsi objectivé. De plus, l’emploi de ce signe va de pair avec un principe de mise en page utilisé pour la disposition dite en partition des différentes voix ; les unes au-dessus des autres. La ligne est ainsi justifiée comme un bloc de texte typographique. Les différentes notes alignées verticalement sont donc simultanées. La double barre marquant la fin d’une section ou pièce apparaît également. La partition répond désormais pleinement au concept de système notationnel: la matérialité, la visibilité, la lisibilité, la performativité, le caractère systémique en constituent les cinq critères précis, à la fois pratiques et théoriques.4

Enfin, l’imprimerie s’empare pleinement de la musique écrite, la tablature lui ayant permis de poser les bases techniques de l’impression de la musique. Les éléments sont dessinés sur des poinçons mobiles et combinables.

Cet extrait d’une tablature de luth de 1507 est imprimé par Ottaviano Petrucci en double passages successifs : d’abord les lignes, puis les chiffres.

Cet extrait d’une tablature
de luth de 1507 est imprimé par Ottaviano Pretucci en double passages successifs: d’abord les lignes, puis les chiffres.

La composition (typographique) n’en est que facilitée. Enfin, les dessins s’affinent. Le rond des notes laisse place à la forme ovale: moins géométrique, il est plus lisible sur la ligne quand il y a beaucoup de notes au même endroit, à l’image des alphabets italiques, développés deux siècles auparavant pour optimiser le nombre des lettres par ligne. Le retour à la partition se fait donc naturellement sans pour autant élimer les autres modes d’écriture.

C’est en miroir à la musique du XXe siècle que la tablature va réapparaître et subir de profondes mutations. L’apparition des nouveaux instruments contemporains, ou plutôt l’évolution de leur forme classique jusqu’à celle qu’on leur connait aujourd’hui, a permis l’essor de tout un pan de la musique du XXe siècle. Cela va de pair avec sa diffusion. La tablature se perpétue ici, au travers de la musique populaire et de ses instruments.5

L’exigence attendue pour l’exécution d’un tel type de musique (que ce soit pour le chant ou l’instrumental) ne réclame pas l’intégralité des moyens proposés par la partition. La tablature propose suffisamment d’outils et surtout un système simplifié et peu étendue pour en faire l’écriture privilégiée de bien des instruments accessibles au plus grand nombre. Elle va même développer des outils exclusifs très efficaces. De nos jours, la tablature est notamment utilisée pour la notation musicale de la guitare, de l’accordéon diatonique, ou encore de la batterie. Elle suscite un engouement particulier pour de nombreux musiciens qui retrouvent dans cette notation des techniques de jeu inexistantes ailleurs, ni dans d’autres notations, ni dans d’autres musiques parfois.

En effet la musique se libère de nombreux interdits. Un exemple important reste celui du triton. L’ouvrage de Dominique Bertrand6  qui lui est consacré nous présente un accord de quinte diminuée considéré à la fin du Moyen Âge comme dangereux, trop dur à l’oreille, et considéré comme l’expression musicale du Diable. L’accord prend alors le nom de Diabolus In Musica et l’Inquisition aurait fait brûler des musiciens ayant joué cet accord. Il est réintroduit progressivement dans la musique occidentale au début du XVIIe siècle et popularisé notamment par Bach et d’autres compositeurs baroques. Maintenant, le triton est abondamment utilisé dans le hard rock comme le jazz manouche, sans aucun risque de brûlure.

Si le triton ne possède pas de notation particulière, de nombreuses pratiques contemporaines se sont naturellement dotées de signes au sein de la tablature. Par exemple, le bend est une technique assez récente consistant à pousser une corde pour la contraindre à une note souhaitée. Cette pratique autrefois peu conventionnelle est désormais intensément utilisée dans le rock par exemple mais surtout représentative de la nouvelle relation du musicien à son instrument qu’il n’hésite plus à torturer pour le faire «crier»…

Un bend ( de l’anglais tordre ) est la technique qui consiste à contraindre une note en tirant sur la corde.

Un bend (de l’anglais tordre) est la technique qui consiste à contraindre une note en tirant sur la corde.

La tablature présente donc un nouvel éventail de possibilités avec un avantage indéniable: une instantanéité de l’exécution. L’absence de déchiffrage et l’utilisation de signes faisant écho au geste procurent aussi un plaisir de jeu immédiat.

Une notation possible de la technique du bend se dessine à l’aide d’une flèche montant de la note jouée vers l’écart demandé ( ici +1 ton ) et reproduit graphiquement le geste des doigts sur le manche. ( Ici, les deux premiers bends du chorus de guitare du morceau Money de Pink Floyd )

Une notation possible de la technique du bend se dessine à l’aide d’une flèche
montant de la note jouée vers l’écart demandé (ici +1 ton) et reproduit graphiquement le geste des doigts sur le manche. (Ici, les deux premiers bends du chorus de guitare du morceau Money de Pink Floyd)

La musique classique continue d’employer jusqu’à aujourd’hui la partition, en adéquation avec les instruments qui l’ont accompagné dans son développement. La musique contemporaine de son côté, explore d’autres moyens d’écrire les nouveaux modes de jeu, non employés ou peu développés auparavant (avec la partition graphique, par exemple). Ce qui peut passer pour un défaut du système de la tablature, à savoir le manque d’informations sur les éléments théoriques d’un morceau, reste souvent muet. En effet, la tablature est quasiment dédiée au répertoire populaire, une musique diffusée et largement écoutée. Ainsi, il n’est pas rare que ce qui est joué (et lu) soit déjà connu par le musicien, au moins d’oreille. La tablature peut donc pleinement remplir son rôle, en dépit de tous ses manques. Elle convoque ainsi d’autres capacités comme la mémoire auditive ou la mémoire de position…

Le fonctionnement de la tablature pose des bases très simples et s’inscrit dans une pratique contemporaine et populaire. À la différence des partitions, la tablature est une représentation physique des gestes à effectuer afin de jouer un morceau. Cette simplification offre l’avantage de faciliter l’apprentissage, mais apporte l’inconvénient de perdre beaucoup d’informations sur ce qui est joué. La tablature indique tout de suite où et quoi jouer. Il est possible d’accomplir «bêtement» une suite de mouvements, sans forcément comprendre ce qui est joué. Autant de lignes que de cordes (six pour la guitare, quatre pour la basse…) et les chiffres indiquent les cases qu’il faut jouer. Pour la lire correctement, il faut toutefois quelques explications supplémentaires. Les cordes graves sont situées en bas, les cordes aiguës en haut. Cela respecte la tradition ancestrale de toute forme d’écriture musicale où on place les graves en bas, mais aussi le point de vue du musicien sur son instrument. Les cordes sont généralement désignées par leur nom. Des graves vers les aiguës, elles se nomment corde de mi grave, de la, de ré, de sol, de si et de mi aigu. Elles portent le même nom que la note obtenue en jouant la corde à vide. Leur nom peut donc changer en fonction de l’accordage de l’instrument. Les cases d’une guitare sont délimitées sur le manche par les frettes (barrettes en métal). La case 1 est comprise entre le sillet et la première frette, la case 2 entre la première et la deuxième frette, etc. La case 0 est la corde à vide. Une tablature se lit de gauche à droite. L’axe horizontal représente le temps qui passe. Les chiffres se jouent un par un, les uns à la suite des autres. Plusieurs chiffres superposés sont joués simultanément, c’est ce qu’on appelle généralement un accord. Est joué seulement ce qui est écrit. Si une corde ne comporte aucun numéro, elle n’est pas jouée. Et c’est à peu près tout.

Une caractéristique des pratiques contemporaines réside dans l’usage des effets de jeu. La tablature permet de noter précisément, en plus de la mélodie, de nombreux effets de jeu, générant des notes très typées, en intervenant sur le timbre. Ces effets sont loin d’être accessoires car ils font partie intégrante des musiques actuelles. Différents types de signes typographiques sont convoqués pour préciser la façon d’engendrer le son. Ainsi par l’usage d’une lettre à la place d’une note, par exemple la lettre x, une note morte est signifiée. Par ce signe, le joueur comprend qu’il faut juste toucher la corde, sans la fretter, et de la gratter. Un son mat, sec, très percussif est ainsi obtenu et apporte beaucoup au rythme. Des signes intervenant entre deux chiffres indiquent quant à eux la manière de lier les deux notes: les lettres h ou p (hammer-on ou pull-off) signifient des techniques ou les doigts viennent interagir avec la corde, tandis qu’un caractère comme le / le indique un simple glissé.

Notation des effets de jeu dans la tablature en toutes lettres ( et chiffres,sans glyphes extérieurs aux alphabets des polices de caractères informatiques )

Notation des effets de jeu dans la tablature en toutes lettres (et chiffres,sans glyphes extérieurs aux alphabets des polices de
caractères informatiques)

Les lettres servent aussi de signes diacritiques à une note, remplaçant des signes graphiques: par exemple, une note entre parenthèse ou précédé de la lettre b devra être jouée en exécutant un bend.

 

La tablature est donc bien une graphie dans l’air du temps. Depuis l’apparition de l’informatique mais surtout d’Internet, les tablatures sont très communes, et ce pour plusieurs raisons. Il est possible de représenter une tablature avec des simples chiffres, ce qui est très facile à faire sur Internet, alors que des notes de partition classique nécessitent une représentation graphique, plus difficile à intégrer dans un site. Écrire une tablature y est d’autant plus aisé que l’utilisation d’un caractère monospace, comme le courrier, facilite sa mise en page. Ce type de police est récurent  dans l’écriture des tablatures, et présente deux avantages indéniables. Tout d’abord, les lettres et chiffres ont une chasse fixe. Ainsi, toutes les lettres ou signes peuvent se superposer parfaitement les uns au-dessus des autres sans avoir à mettre en forme quoi que ce soit. Ensuite, on en trouve sur tous les matériels informatiques, mêmes les plus anciens. Il est possible de l’écrire avec ou de la lire à peu près partout. Un autre point important, la dématérialisation de l’écriture facilite aussi sa diffusion comme son échange. Internet en est la preuve. Les tablatures n’étant qu’un fichier texte, leur partage, leur modification ou encore leur impression sont à la portée de tous.

Parallèlement, la version imprimée des tablatures prend désormais plus de place dans la pratique musicale, notamment sous la forme de «songbooks». Plus ou moins exhaustifs, ces ouvrages compilent souvent les morceaux d’un même album ou artiste. Il s’agit aussi bien d’un document musical qu’un objet destiné au fan. Avec un songbook correctement écrit, on peut théoriquement jouer fidèlement un morceau qu’on n’a jamais entendu auparavant. Cela vient du caractère hybride de la tablature qui y est présente: elle est augmentée avec beaucoup de signes parfois créés pour l’occasion, mais elle y associe surtout les autres langages musicaux pour compléter et/ou faciliter la lecture. On trouve donc les paroles, mais aussi des lignes en partition classique, des diagrammes et le chiffrage américain des accords. La tablature y est également traitée de manière plus raffinée que sur Internet, car gérée de manière indépendente du système d’écriture de type monospace.

Cette tablature du morceau You and whose army ? de Radiohead ( issue du songbook de l’album Amnesiac ) présente les diagrammes et le chiffrage américain des accords ainsi que la tablature pour les parties de guitare ( en plus des partitions classiques et des paroles )

Cette tablature du morceau You and whose army ? de Radiohead (issue du songbook de l’album Amnesiac)
présente les diagrammes et le chiffrage américain des accords ainsi que la tablature pour les parties
de guitare (en plus des partitions classiques et des paroles)

Il ne faut pas croire que les cordes ont l’exclusivité de la tablature. Beaucoup d’instruments disposent de la leur. Preuve en est, le mbira, sorte de sanza africaine à lames de métal disposées sur deux étages, jouée aux pouces, suit la même logique d’écriture. Chaque touche, chaque note, est désignée par un chiffre. Une suite de chiffres écrit la mélodie répartie sur quatre lignes correspondant aux zones de jeu, gauche, droite, haute et basse. Là encore, tous les outils de la tablature sont convoqués, jusqu’à l’emploi d’une monospace.

Mbira Dzavadzimu ( aussi connu sous le nom de sanza ou piano à pouces ) est un instrument de percussion idiophone d’origine africaine qui se joue aux pouces.

Mbira Dzavadzimu (aussi connu sous le nom de sanza ou piano à pouces) est un instrument de percussion idiophone d’origine africaine qui se joue aux pouces.

Cet extrait de la tablature pour mbira de Shumba-YaNgwasha de Chartwell Dutiro est composée à l’aide d’une police monospace. Les lettres en début de lignes indiquent où jouer sur l’instrument : par exemple, sur la partie supérieure gauche pour la ligne « UL », signifiant simplement upper left.

Cet extrait de la tablature pour mbira de Shumba-YaNgwasha de Chartwell Dutiro est composée à l’aide d’une police monospace. Les lettres en début de lignes indiquent où jouer sur l’instrument: par exemple, sur la partie supérieure gauche pour la ligne «UL », signifiant simplement upper left.

D’ailleurs, c’est bien la tablature qui est utilisée comme écriture «officielle» de cet instrument, au travers des ouvrages recensant les compositions qui sont destinées. De même, la pratique du scratch ayant comme instrument la platine et les disques, n’est à priori pas sujette à l’établissement d’une notation. La culture DJ est maintenant courante et reconnue. Le scratch dispose aujourd’hui de son propre système d’écriture: le TTM.7  Bien que ce système d’écriture ne soit pas appelé tablature en tant que tel, il répond pleinement à sa définition par son usage systémique de codes graphiques.

La transcription pour platine du morceau de Rob Swift, Skratchin’ selon la notation TTM se veut très précise, notament avec l’usage de sa grille temporelle orthonormée.

La transcription pour platine du morceau de Rob Swift, Skratchin’ selon la notation TTM se veut très précise, notament avec l’usage de sa grille temporelle orthonormée.

Fidèles compagnons de route, le chiffrage américain et les diagrammes sont les deux amis de la tablature. Indissociable de l’usage de la tablature, le chiffrage américain (ou chiffrage moderne) est un outil qui permet de contracter les informations d’un accord pour lui donner un nom bref sous la forme d’une lettre, accompagné ou non de signes complémentaires. La dénomination «américain» vient du fait que cette notation a été initialement adoptée pour retranscrire les morceaux de jazz aux États-Unis, notamment dans les fameux Real Books, compilations incontournables des plus grands classiques du genre. Il combine deux systèmes d’abréviations: l’utilisation de lettres et bien sûr, du chiffrage. Tout d’abord les noms des notes sont réduits à une lettre.

Au XIe siècle, l’idée d’utiliser des lettres, de A à G, pour désigner certains sons apparaît.8 Les lettres en majuscules, symbolisent les intervalles majeurs, et en minuscules, s’il s’agit d’intervalles mineurs. Aujourd’hui, dans la notation anglo-saxonne, les lettres A B C D E F G sont équivalentes aux notes la si do ré mi fa sol. Elles sont donc tout naturellement employées en chiffrage pour nommer les accords. Cette pratique est universelle à quelques changements près: la notation allemande remplace le B par un H pour des raisons historiques. En japonais, les tons sont notés de A à G en katakana avec l’alphabet iroha: イ (i), ロ (ro), ハ (ha), ニ (ni), ホ (ho), ヘ (he), ト (to). On la retrouve aussi en langue russe, hindi…

Ensuite, le chiffrage consiste à désigner les notes d’une gamme par rapport à sa première note, fondamentale. Par exemple, en do majeur, do sera la première, ré, la seconde, mi la tierce, etc. Un accord n’est donc écrit qu’avec sa fondamentale à laquelle on ajoute des chiffres désignant les notes qui complètent l’accord. Ainsi, un fa dièse mineur neuvième six peut s’inscrire F#m9/6. Pratique, efficient et bien plus lisible qu’un empilement de notes sur une portée. Les diagrammes présentent quant à eux une forme de compromis entre partition et tablature. Ils accompagnent bien souvent le chiffrage américain pour préciser ce qu’il désigne. En effet, ce dernier condense l’écriture d’un accord mais ne propose pas de manière de la jouer. Le diagramme permet de figurer le placement des doigts, la formation de l’accord, sous la forme d’un tableau qui reprend les codes de la tablature. Il se compose d’autant de lignes verticales que de cordes ou de touches de l’instrument et autant de colonnes horizontales que de cases. Les ronds placés sur les lignes symbolisent la position que les doigts doivent adopter.

De nombreux recueils, magazines ( comme les real books ou Guitar Part par exemple ) ou encore des studios proposent des affiches répertoriant les nombreuses positions des accords sous forme de diagrammes.

De nombreux recueils, magazines (comme les real books ou Guitar Part par exemple) ou encore des studios proposent des affiches répertoriant les nombreuses positions des accords sous forme de diagrammes.

Le système tablature + chiffrage américain + diagramme forme l’ossature de l’écriture alternative de la musique la plus répandue à ce jour. Même s’il présente plus de variations que l’unique modèle de la partition, il reste concis, immédiat et facile à utiliser.

Avant de pouvoir utiliser ces outils et de jouer de la musique, encore faut-il s’y être initié. Dans la mesure où son apprentissage se libère du traditionnel solfège, de nouvelles méthodes apparaissent. Les écritures alors employées doivent répondre à l’obligation de rendre accessible la lecture et l’écriture pour le non-averti. Que ce soit la partition ou la tablature, ces écritures s’adressent aux musiciens. Ceux qui sont totalement étranger à toute forme écrite de la musique ont pourtant d’autres outils pour l’apprendre ou la jouer. De la solmisation à la méthode tonic sol-fa, des notations alternatives ont pu se développer en vu d’enseigner la musique à celui qui n’est pas (encore) musicien. Le chiffrage américain pourrait admettre comme lointain parent un système qui établit bien avant lui la combinaison de la lettre et du nom, de la main et de la note. Kenneth Bray retrace dans son livre l’évolution des précurseurs de ce chiffrage autour de l’adaptation de principes d’éducation musicale.9  Guido d’Arezzo met au point une méthode d’étude du chant et des nuances au XIe siècle: c’est la solmisation, que nous avons déjà évoquée. Pourtant, dans les cultures anglo-saxonnes, la solmisation et le mot solfège sont synonymes. Ils ont pour objet la façon de nommer les notes de musique, ce qui rejoint la définition précédente. Le mot solfège venant de de l’italien solfeggio, du latin solfa (gamme), de sol-fa, qui a également donné son nom à la méthode «tonic sol-fa». Guido d’Arezzo cherche des méthodes pour apprendre efficacement à chanter juste à ses jeunes élèves qui ne maîtrisent pas encore le système écrit. Il utilise comme outil mnémotechnique les premières syllabes de l’hymne à Saint Jean-Baptiste, de Ut à La, pour mémoriser les intervalles existant dans l’hexacorde correspondant (gamme de l’époque). Cette méthode se caractérise par le fait qu’on ne peut chanter un demi-ton que sur les syllabes mi-fa. L’idée connaît un succès sans précédent. Elle permet de réduire considérablement le temps d’apprentissage de nouveaux chants et peut s’émanciper de toute forme proche ou lointaine de partition dans un premier temps d’apprentissage. Grâce à cette méthode, il est facile de repérer quelle note est chantée, et quelles syllabes peuvent être dites sur cette note.  Elle s’accompagne d’un système de visualisation des hexacordes sur sa main,  appelée la main guidonienne.

La main guidonienne, comme le montre ce manuscrit italien du XVIe siècle est l’aide mémoire du musicien de l’époque.

La main guidonienne, comme le montre ce manuscrit italien du XVIe siècle est l’aide mémoire du musicien de l’époque.

La main guidonienne organisait toute une cartographie musicale sur les doigts et le dos de la main. manuscrit italien du XVIe siècle.

La main guidonienne organisait toute une cartographie musicale sur les doigts et le dos de la main. manuscrit italien du XVIe siècle.

Plus tard, au milieu du XIXe siècle, l’usage de la main est repris et simplifié de façon extrême. Le Révérend John Curwen (1816-1880) recevant la charge d’apprendre à chanter à ses jeunes élèves prend exemple sur la méthode de Sarah Glover (1785-1867) qui avait utilisé une échelle mobile construite sur les syllabes do ré mi fa so la ti. Afin d’aider l’élève sur le plan visuel, Curwen élabore un ingénieux système de signes de la main, une position particulière de la main représentant chacune des notes de la gamme. Ce système s’est avéré particulièrement efficace auprès des enfants. Un chef de chœur peut alors aisément montrer les notes à chanter à un groupe tout en restant silencieux. Les méthodes de repérage sur la main sont d’ailleurs courantes au Moyen Âge. Cette méthode se propage largement dans les milieux protestants, notamment par l’édition de The Standard Course of Lessons on the Tonic Sol-fa Method of Teaching to Sing en 1858. Encore en usage actuellement sous le nom de méthode Kodaly, elle donne ses lettres de noblesse à Curwen press, maison éditoriale artistique de Plaistow, non loin de Londres, fondée en 1868 qui revendique avant tout un soin particulier accordé au design de ses objets. Et ce n’est pas un hasard si l’histoire nous présente cette maison comme pionnière en matière de recherche graphique et typographique appliquée à la musique.

Le solfège Curwen assigne une note à chaque signe de la main.

Le solfège Curwen assigne une note à chaque signe de la main.

L’apprentissage de la musique, loin d’être aisé, est peut être la première explication de l’apparition de méthodes alternatives de l’écriture de la musique. Par sa volonté de rendre accessible au plus grand nombre la connaissance de la musique, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) publie ainsi de nombreux écrits théoriques et met au point un nouveau système de notation. Il s’inscrit avec quelques siècles d’avance dans le mouvement de démocratisation de la culture. Son engagement pour libérer la musique de la tradition, et l’ouvrir à la nouveauté constitue un héritage original et précieux pour notre siècle. En 1742, Rousseau publie son Projet concernant de nouveaux signes pour la musique10  dans lequel il propose de révolutionner le système de notation musicale, qu’il juge trop complexe. Selon Rousseau, la difficulté d’apprendre la musique vient surtout de ses caractères, trop nombreux, occupant un trop grand volume, et surchargeant la mémoire des écoliers. Il dénonce l’imperfection des signes de la partition, où la lecture est compliquée par un nombre excessif de lignes. Son idée est relativement simple: il s’agit d’exprimer autant de choses en moins d’espace, en considérant deux objets principaux, le son et la durée. Comme la musique ne tient qu’en un enchaînement de sons qui se font entendre soit tous ensemble, soit successivement, il suffit que tous ces sons aient des expressions relatives qui leur assignent à chacun la place à occuper par rapport à un certain son fondamental pourvu. Rousseau revoit donc la forme mais conserve une forte dimension théorique. Cette écriture n’est pas abordable par le néophyte. Il note alors la musique plus commodément en substituant des chiffres aux notes. Do, ré, mi, etc, deviennent, 1, 2, 3, 4, jusqu’à 7… et lorsqu’il y a changement de tonalité, la clé l’indique. Pour sortir de cette étendue et passer dans d’autres octaves, le plus simple de tous les signes est utilisé de façon diacritique, au-dessus ou au-dessous. Une sorte d’intermédiaire entre partition et chiffrage américain. Cette écriture connait un succès mitigé et n’est pas beaucoup utilisée.

La proposition d’écriture de la musique par Rousseau est très économe en signes, comme en place.

La proposition d’écriture de la musique par Rousseau est très économe en signes, comme en place.

Un descendant de son système de notation musicale est encore utilisé de nos jours en Chine, même si le lien de parenté historique n’est pas clair. Le jianpu, qui signifie littéralement «notation simplifiée» est également appelé système numéroté. Le système initial est simplement augmenté par la possibilité d’ajouter des tirets aux chiffres. Un chiffre seul correspond à une noire. Les traits suivants la note la prolongent: – pour une blanche, — pour une blanche pointée etc. Au contraire, les traits soulignants correspondent à des divisions: 1 pour une croche, 2 pour une double croche…

Cet exemple de musique écrite en jianpu : Huan Le Ge, ( Chant traditionnel chinois, La chanson de la joie ) ne présente que peu de différences formelles avec la proposition d’écriture de la musique de Jean-Jacques Rousseau.

Cet exemple de musique écrite en jianpu : Huan Le Ge, (Chant traditionnel chinois, La chanson de la joie) ne présente que peu de différences formelles avec la proposition d’écriture de la musique de Jean-Jacques Rousseau.

Les qualités de la tablature tiennent donc dans sa simplicité et son caractère universel. C’est donc naturellement que le fonctionnement théorique de son système se voit reproduit dans de nouvelles façons de concevoir la musique. De la partition classique à ses formes alternatives les plus émancipées, en passant par différentes formes de compromis, il est possible de penser que le tour de la question est fait. En réalité, de nouvelles pratiques rejouent aujourd’hui les propositions déjà mises en place auparavant pour proposer non plus seulement l’apprentissage ou la lecture, mais l’improvisation. De la même façon qu’autrefois, les nouveaux instruments ont pu initier de nouvelles écritures, désormais les deux se développent ensemble. C’est par exemple le cas du Du-touch, instrument embarquant une technologie informatique, développé en adéquation avec une notation elle-même pensée pour faciliter le jeu. L’instrument part ici d’une idée simple: sur ce nouveau clavier, les notes sont réparties alternativement à gauche et à droite, ainsi on a un doigt par note sur une octave et un accord dans chaque main. Sur le clavier gauche, on retrouve les notes situées sur les lignes de la portée et sur le clavier droit les notes situées sur les interlignes. La notation facilite le jeu par la façon dont elle présente les notes. Les gammes et les accords sont représentés par des dessins graphiques. Tout comme la tablature prend en compte les cordes de l’instrument, la notation Dualo met en lumière les touches à presser. L’association d’un dessin à un accord, à une couleur sonore s’apprend très vite. Pas de gammes à travailler comme au piano. Chaque dessin peut être réduit à un signe qui constituera une abréviation possible.

Les touches des notes de la gamme jouée sont allumées sur l’instrument Du-touch, en miroir à sa notation.

Les touches des notes de la gamme jouée sont allumées sur l’instrument Du-touch, en miroir à sa notation.

s notations, réductions et chiffrages des accords selon le principe Dualo ont été conçues en adéquation formelle et ergonomique avec l’instrument Du-touch.

s notations, réductions et chiffrages des accords selon le principe Dualo ont été conçues en adéquation formelle et ergonomique avec l’instrument Du-touch.

Un défaut à cette écriture tient à sa dépendance à des outils de lecture et d’écriture. En effet, impossible d’écrire les diagrammes sans logiciel ou de lire les séquences animées sans fichier. En revanche, si toutes les conditions techniques sont réunies, l’apprentissage devient ludique et facile. En effet à l’image des claviers pour les tous petits, l’instrument peut recevoir les fichiers de notation informatique des morceaux. Ainsi, l’instrument, ou plutôt son ordinateur intégré va le lire et allumer ses touches comme pour un jeu vidéo. Il assure quelque part le relais de l’interprétation, comme une interface tactile.

Cette notation permet de voir poindre la tendance d’une écriture dématérialisée. Non seulement elle ne se voit pas, car dans le cas présent, il s’agit d’un fichier MIDI, un simple code informatique, mais en plus elle ne prend pas de forme tangible puisqu’elle ne se révèle qu’au travers de l’activation de l’instrument.

  1. Jean-Yves Bosseur, Du son au signe, éditions alternatives, Paris, collection écritures, 2005, pp. 55-59.  []
  2. Jean-Marc Warszawski, Les écrits relatifs à la musique, de Boèce à Jean – Philippe Rameau ( 480-1764 ), thèse Université Paris 8, 2009, p.49.  []
  3. Hélène Carrère d’Encausse et Maurice Druon, secrétaires de l’Académie française, Dictionnaire, Neuvième édition, Paris, Imprimerie nationale / Fayard, 1992, <atilf.fr/academie9.html> []
  4. Nelson Goodman, Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols, Indianapolis/Cambridge, Hackett Publishing CO, 1976, pp.130-134. []
  5. Par exemple, l’accordéon apparaît au XIXe siècle, tout comme la forme actuelle de la guitare   []
  6. Dominique Bertrand, Le Diabolus des Sages : Une dissonance interdite…, St Martin de Castillon, éditions Signatura , 2006. []
  7. D’après leur site, <www.ttm-dj.com>, TTM (turntablist transcription methodology) est une organisation dédiée à l’avancement de la platine comme instrument et au DJ comme musicien. Elle se concentre sur la création et l’évolution d’un système de notation permettant de documenter la composition et les nuances des compositions des DJs. []
  8. Selon un principe hérité des grecs et de Boèce, qui allait jusqu’à la lettre P.   []
  9. Kenneth Bray, A Canadian adaptation of Kodály’s music education principles, Aceum, 1971. []
  10. Jean-Jacques Rousseau, Projet concernant de nouveaux signes pour la musique …, Genève, Deterville, 1781, p.2-5.  []

Entrevue

Beauregard