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En 1940, à la New York World’s Fair, Homer Dudley, pionnier en ingénierie électronique et acoustique aux Bell Laboratories, présente le Voder1, la première tentative d’imitation électrique de la voix humaine, et donc de la parole.
Conçu à partir de l’étude du fonctionnement de l’appareil vocal, ce dispositif vise à en reproduire les sonorités et les intonations. Comme les synthétiseurs que l’on connait aujourd’hui, il se compose d’une console sur laquelle sont fixés un clavier et une pédale.
La simulation de la voix se fait par association de sons à un rythme particulier. Alors, tel un instrument, le Voder doit être activé, manipulé pour fonctionner.
The Machine uses only two sounds, produced electrically. One of these represents the breath. The other, the vibrations of the vocal cords. There are no phonograph records or anything of that sort, only electronical circuits.2
En 1940, Homer Dudley reprend certaines des composantes du Voder pour créer un dispositif de traitement synthétique du signal sonore : le Vocoder3. Celui-ci permet l’analyse de la voix, sa conversion en données électroniques, puis sa reconstitution. Dudley le conçoit pour optimiser les transmissions téléphoniques du réseau américain. Il sert alors à réduire le coût des appels longue distance et à offrir un mode de télécommunication crypté. Cependant, le Vocoder donne à la voix une texture robotique et rencontre alors peu de succès.
Et c’est justement cette texture particulière, effet inattendu de la conversion des données, qui intéresse les musiciens des années 1970. Déjà en 1948, Homer Dudley fait une démonstration du Vocoder au studio de la WDR pour Werner Meyer-Eppler (1913-1960)4, directeur de l’Institut de Phonétique à l’Université de Bonn. Ce dernier est fasciné par l’appareil et décide de l’employer comme sujet de base pour ses écrits, qui deviennent la bible du mouvement de musique expérimentale allemand Elektronische Musik5.
Dès lors, le Vocoder est prêt à être adopté par les compositeurs et devient un véritable instrument à effets vocaux. Il est aujourd’hui très populaire et sert notamment à agrémenter des jingles de radio ou de nombreux morceaux. Mais là où il est selon moi le plus intéressant, c’est lorsque son usage relève d’une intentionnalité explicite. Par exemple, Le groupe de musique électronique allemand Kraftwerk revendique l’usage des machines pour composer.
Dès sa fondation en 1970, Florian Schneider-Esleben et Ralf Hütler — rejoints ensuite par Wolfgang Flür et Karl Bartos — entendent développer une musique mariant leur langue maternelle aux bruitages des grandes villes.
Fascinés par les avancées technologiques et les sonorités électroniques, ils créent leurs propres instruments grâce auxquels ils produisent un son froid, industriel et singulier. Très vite, ils utilisent les visuels générées par ordinateurs.
Ils cultivent alors une image rigide et géométrique. Ainsi, ils créent des clips ou des animations servant de fond à leurs performances scéniques.
En 1974, dans l’album Autobahn, ils utilisent pour la première fois le Vocoder et sa texture « machinique » pour confirmer leur statut d’« hommes robots »6.
Son effet est alors utilisé non plus seulement pour agrémenter ou embellir, mais pour participer à la construction d’une identité singulière et servir un propos.
- Le nom Voder est une contraction « Voice OpeÂrating Demonstration » [↩]
- Ma retranscription de l’explication d’Homer Dudley dans la vidéo « VODER (1939) Early speech Synthetizer ». [↩]
- Le nom Vocoder vient de la contraction de « Voice Encoder ». [↩]
- Werner Meyer-Eppler (1913-1960) est un physicien allemand, chercheur, professeur en acoustique et phonétique et théoricien de l’inÂformation. Il a beaucoup écrit sur les théories de la communication et la musique électronique. [↩]
- Elektronische Musik est un mouvement de muÂsique électronique expérimentale né à Cologne au milieu des années 1950. Le but de ce mouvement était de créer une musique libre de tout passé, permettant de s’extirper du néant culturel que la nouvelle génération ressentait comme une conséquence du rôle de son pays dans la Seconde Guerre Mondiale. Il a notamment été porté par le célèbre musicien Karlheinz Stockhausen (1928-2007). [↩]
- Dans l’album The Man Machine, les membres du groupe Kraftwerk proclament « We are the Robots ». Au début des années 1980, ils vont jusqu’à se faire remplacer par des robots sur scène. [↩]
Intéressant! Autour de la voix, la machine et le souffle, on peut continuer la lecture avec un article de Paul Elliman commandité par la Gaité Lyrique et écrit en 2011 si je ne m’abuse:
https://gaite-lyrique.net/en/node/425
Le plus: ses interprétations « soufflées » de ses grand classiques.