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Selon le LittrĂ©, le mot graphisme apparaĂźt pour la premiĂšre fois en 1875 sous la plume dâAlfred Maury qui tente une quĂȘte De lâorigine de lâĂ©criture pour qualifier une « maniĂšre de reprĂ©senter le langage par lâĂ©criture »1. Selon Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, le terme graphique apparaitrait dĂšs 1762 dans le vocabulaire astronomique pour qualifier « ce qui reprĂ©sente quelque chose par des figures »2 . Câest-Ă -dire que dâemblĂ©e, cette famille de mots issus du grec graphein « écrire » qui se rattache Ă une racine indo-europĂ©enne gherb signifiant « couper, entailler », en quelque sorte graver, vient dĂ©signer un signe visuel stabilisĂ©, entre image et Ă©criture. DĂšs 1762, la graphie est un Ă©lĂ©ment didactique de composition capable de rĂ©aliser une description3.
On se rappellera que jacques Derrida, accusant la synonymie entre le graphe, le type, et le glyphe4, nous parle de cette trace comme dâun dĂ©pĂŽt, une griffure laissĂ©e dans la matiĂšre par un objet tractĂ© par une main, par une force, par une dynamique, peut-ĂȘtre par une intention, en tous cas une intensitĂ©.
Si les arts graphiques sont attestĂ©s dĂšs 1872 pour qualifier un art du dessin5, il faudra attendre, dâaprĂšs GĂ©rard Blanchard, Roger Excoffon et la session Lurs 1962 pour inventer le terme et, peut-ĂȘtre la fonction de graphiste6
LâĂ©dition est une activitĂ© complexe qui regroupe au moins deux fonctions plus clairement distinguĂ©es par lâanglais. Ăditer câest dâune part choisir des matiĂšres, les articuler, les ordonnancer. Câest ce que lâanglais appelle le travail de lâeditor. Mais Ă©diter câest aussi mettre en Ćuvre les moyens matĂ©riels pour produire et pour diffuser. Ă la fois pour rendre public, rendre au public et, dans le fil plus ou moins homogĂšne des exemplaires et de la possible variation des versions, pour parfois rendre diffus⊠Câest ce que la langue anglaise dĂ©signe sous le terme de publisher.
Pour les Ă©diteurs et les libraires de lâancien rĂ©gime, lâactivitĂ© Ă©ditoriale aboutit Ă la constitution dâun catalogue. Comme son Ă©tymologie le rappelle, une Ă©numĂ©ration, une liste7. Une somme des titres des livres qui peuvent composer le contenu, les prĂ©fĂ©rences, bref lâesthĂ©tique dâun Ă©diteur. Ce quâon peut appeler aussi le projet ou lâĆuvre dâun auteur, quâil soit Ă©diteur, libraire, typographe, commissaire dâexposition, graphiste, thĂ©oricien, critique, dessinateur, photographe, Ă©crivain ou imprimeur.
ModĂšle puissance est le nom dâun collectif liĂ© par son intĂ©rĂȘt pour un « art graphique » pris entre lâouverture au sens dâun tracĂ© et le vouloir-dire dâun dess(e)in. Jean-Philippe Bretin, Vanessa Dziuba et Julien Kedryna et Nicolas NadĂ© viennent dâĂȘtre invitĂ©s par lâĂcole d’Art et de Design du Havre pour proposer une exposition sur le thĂšme de lâĂ©dition dans le cadre de le manifestation Art Sequana.
Je laisse maintenant la parole Ă Jean-Philippe Bretin pour nous parler plus prĂ©cisĂ©ment de Lâexposition du catalogue, une proposition visible Ă lâESADHaR â Galerie 65, 65 rue Demidoff 76600 Le Havre, sous le commissariat de Yann Owens, du 16 janvier au 20 fĂ©vrier.
Notre point de dĂ©part, lorsque nous envisageons une exposition, est de dĂ©finir un titre qui sonne comme une Ă©vidence, quitte Ă ce quâil soit littĂ©ral, absurde ou tautologique. Ici nous sommes partis du terme « catalogue », le mot qui associe le plus simplement les termes « exposition » et « édition ». Ce terme prĂ©sente lâintĂ©rĂȘt dâavoir un double sens, celui de la chose imprimĂ©e qui rend compte de lâexposition, mais aussi celui de lâobjet qui dresse un inventaire avec une vocation commerciale.
Le rapport entre le commerce et lâexposition est-il incarnĂ© par les produits dĂ©rivĂ©s ? Du produit dĂ©rivĂ© au multiple dâartiste la frontiĂšre est ambiguĂ«, surtout dans notre cas oĂč les enjeux Ă©conomiques sont faibles. Nous avons en effet la grande chance de ne pas ĂȘtre trop pervertis par le marchĂ© de lâartâŠ
La notion de produit dĂ©rivĂ© nous intĂ©resse particuliĂšrement dans le sens oĂč ces objets ne paraissent pas forcĂ©ment contrĂŽlĂ©s par lâartiste. Est-ce que Picasso voulait que ses peintures deviennent des boites Ă lunettes, que les dessins de Matisse se retrouvent en magnets pour frigo, que les peintures de Roy Lichtenstein finissent en plateau des Zâamours ?
Nous voulions donc nous placer dans cette situation de non-maĂźtrise de notre production, de voir comment les images que nous avions produites pouvaient nous Ă©chapper, devenir autre chose. Nous avons choisi de ne montrer dans lâexposition aucun original mais plutĂŽt de proposer lâidĂ©e dâun atelier de production dâĂ©ditions dans lesquelles des Ă©tudiants volontaires prennent lâinitiative dâĂ©diter des multiples Ă partir dâune base de donnĂ©es dâimages de notre travail.
Chaque semaine, nous avons envoyĂ© des fichiers numĂ©riques dâimages de diffĂ©rentes natures (scans de dessins, photos de travaux en cours, scans de livres) et de qualitĂ©s diverses (images basse dĂ©finition, images prĂȘtes pour lâimpression, scans, photographies ou images digitales). RĂ©guliĂšrement nous nous sommes rendus au Havre pour suivre lâavancement des projets et commencer de notre cĂŽtĂ© Ă imprimer nos propres nouvelles Ă©ditions Ă partir de nos anciennes images.
Parmi les propositions des Ă©tudiants, nous avons eu des rĂ©ponses assumĂ©es comme «anecdotiques» (des bonnets de bains), certaines ont Ă©tĂ© produites avec lâintention de devenir des installations, dâautres ont demandĂ© le passage par de nombreuses Ă©tapes (images converties en fichier 3D, impression 3D puis moulage pour crĂ©er des dessins Ă manger), dâautres ont utilisĂ© le photocopieur comme moyen de reproduction complexe (pour une images passĂ©e 20 fois dans le copieur avec surimpression, dĂ©calage et disparition progressive du motif)âŠ
Nous avons finalement mĂȘlĂ© nos productions Ă celles des Ă©tudiants dans une scĂ©nographie oĂč lâespace et la circulation est modifiĂ©e par la prĂ©sence dâune longue table qui a une hauteur troublante, inhabituelle, presque dĂ©rangeante. Cette table vise Ă la mise Ă niveau dâobjets aux statuts trĂšs divers : textiles, gravures, livres tirĂ©s Ă plusieurs milliers dâexemplaires, tirage uniques⊠Mais aussi Ă la mise Ă plat des rapports entre artistes, Ă©diteurs et imprimeurs, et dâautant plus lorsque ceux-ci sont une seule et mĂȘme personne !
Nous avons Ă©galement souhaitĂ© convoquer des moyens de production trĂšs Ă©tendus, qui vont de lâartisanat (pour la gravure de nos noms sur des couteaux), Ă des procĂ©dĂ©s industriels comme un puzzle en tirage unique par Ravensburger, en passant par la petit sĂ©rie de la sĂ©rigraphie de LĂ©zard Graphique ou des sociĂ©tĂ©s dâimpression Ă la demande (stade ultime de lâauto-produit dĂ©rivĂ© accessible Ă tous).
Nos production posent les questions Ă©ditoriales de lâunique dans la sĂ©rie, de la digestion et de lâindigestion des images, de leur potentielle sur(re)production (sans regard cynique ni mĂȘme distance critique). De la possibilitĂ© dâun cycle infini des images, rĂ©fĂ©rencĂ©es, auto-rĂ©fĂ©rencĂ©es, reproduites, re-reproduitesâŠ
Des ponts se tissent entre le travail quasi-encyclopédique de Vanessa Dziuba sur les ùges des artistes, scientifiques, explorateurs et écrivains au moment de leurs plus importantes réalisations et les T-shirts de Julien Kedryna qui figurent la recherche du motif le plus atterrant en associant des références improbables par la reprise des codes du fan-art et du dessin adolescent.
- Alfred Maury, « De lâorigine de l’Ă©criture » in Journal des savants, aoĂ»t 1875, p. 473 [↩]
- Alain Rey (dir.), « Graphique » in Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, A-L, 1992, p.910 [↩]
- Alain Rey (dir.), « Graphie » Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, A-L, 1992, p. 911 [↩]
- Jacques Derrida, « La pharmacie de Platon » in Tel quel n° 32 et 33, Paris, 1968 [↩]
- Alain Rey (dir.), « Graphique » in Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, op. cit. [↩]
- Catalogue de lâexposition : Ćuvre graphique et typographique dâAlbert Hollenstein, 1930-1974, Ăcole Estienne, 1994, note 1 p. 27 [↩]
- Alain Rey (dir.), « Catalogue » Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, A-L, 1992, p. 362 [↩]
Selon Alan & Isabella Livingstone (Dictionnaire du graphisme, Thames & Hudson, trad. française, Paris, 1998, p.54) câest le graphiste et typographe amĂ©ricain William Addison Dwiggins qui employa le terme âgraphic designerâ le premier en 1922.